Chapitre 5 : Guerre Totale et dégustation.
Il fallut finalement quelques instants à Brasidas pour réagir à ce qu’il venait de se passer. Dans un premier temps il eut la folle envie de tout saccager dans la maison et de sauter sur Kassandra mais il se rappela alors sa propre attitude lors de leur première rencontre et compris qu’il l’avait bien mérité. Il rejoignit Kassandra dans la salle où on avait apporté le dîner et s’assit face à elle dans une ambiance intimiste et rougeoyante.
Elle arborait un petit sourire fier, qu’il lui rendit.
— Je suppose que c’est de bonne guerre… Surtout après t’avoir dit si je me souviens bien que tu étais… mignonne ? dit-il en riant.
— Oh mon cher capitaine, ce n’était en effet pas ta meilleure répartie, répondit Kassandra en prenant son verre.
Elle le vida lentement tout en plongeant son regard dans celui de Brasidas. Celui-ci déglutit.
— Je pensais que ma punition serait courte, dois-je donc en déduire que je me fais de faux espoirs ?
— Cela dépend… répondit Kassandra lentement.
— De ?
— Quels sont tes espoirs ? lui dit-elle avec un sourire carnassier.
Brasidas se sentit soudainement pris au piège, il envisagea les possibilités. Est-ce que sauter par la terrasse était réalisable ? Il se souvenait bien que la porte d’entrée était verrouillée. S’il était un véritable dieu de la guerre sur le champ de bataille, il laissait avec plaisir l’art du discours aux politicards planqués de l’assemblée. Aujourd’hui, pourtant, il regrettait de ne pas avoir mieux suivi ses cours de rhétorique.
— Mes… Mes espoirs sont nombreux… euh…
« Fils, tu venais chasser la biche, et finalement tu es pris au piège par une louve, la bataille va être rude mais toutes les blessures que tu arboreras demain seront tes marques de gloire » Brasidas se pencha légèrement en avant et murmura.
— Jouons.
— Oh tu sais, enchaîna-t-il, je suis un homme simple. J’espère vieillir vieux entouré par ceux que j’aime après une vie passée dans la gloire des champs de bataille.
Il acheva en baissant le ton de sa voix pour la rendre plus profonde, Kassandra tressaillit face à ce brusque changement. Elle sentit alors la voix de Brasidas résonner à travers toutes ses entrailles.
— Mourir vieux auprès des tiens ? N’est-ce pas la mort que redoutent tous les spartiates, eux qui ne rêvent que de mourir l’épée à la main ? questionna-t-elle pour chasser son trouble.
Brasidas sourit et répondit en la regardant droit dans les yeux.
— Tu apprendras ô magnifique amazone, que je suis unique en mon genre.
Il lui avait tendu un piège, et elle était tombée en plein dedans. Kassandra se resservit du vin pour laisser à son esprit le temps de trouver une répartie et surtout un moyen de reprendre le contrôle. Elle fit signe à un serviteur pour qu’il apporte le repas.
— Je n’en doute pas Brasidas, mais cela ne répond pas à ma question. Qu’espérais-tu ?
« Pas très subtile ma fille, je t’ai vu décapiter des athéniens avec plus de douceur » pensa-t-elle. Elle continua.
— Espères-tu que j’en finisse rapidement avec toi ou que je fasse durer cela plus longuement ? demanda-t-elle en s’attardant sur le dernier mot.
Brasidas déglutit, il sentait la louve lui tourner autour. Il tenta alors une contre-attaque.
— Tout… tout dépend, commença-t-il incertain. Tout dépend de la façon dont tu t’y prendras. Je dois te dire que je suis paré a toute forme de torture aussi longue et imaginative soit-elle, dit-il avec un fin sourire.
Kassandra s’apprêtait à répondre dans cette joute verbale pleine de sous-entendu quand elle se figea d’un coup.
« Mais qu’est-ce que je suis en train de faire là » pensa-t-elle. « Il y a quelques semaines je m’apprêtais à lui arracher son armure et là je suis en train de jouer à la séductrice, comment est-ce que je vais encore me sortir de ce bourbier ? »
— Kassandra ? Tout va bien ? demanda Brasidas légèrement inquiet.
Celle-ci se secoua la tête et reporta son attention sur lui.
— Je viens de me rendre compte que même si te séduire de cette façon et te voir essayer d’esquiver mes sous-entendus de la façon la plus subtile possible est assez plaisant, la femme qui fait ça… n’est pas vraiment moi.
Brasidas la regarda, interloqué.
— C’est-à-dire ? demanda-t-il.
— Et bien, je ne suis pas ça… Je ne suis pas une citadine qui parle littérature, les seules choses que je lis ce sont des rapports d’espions ou de batailles. Je ne chante pas sauf les chansons de mes marins, je ne danse que sur les tables des tavernes et généralement ce n’est pas très glorieux. Généralement le divertissement passe par la sensation que j’ai en sentant le vent sur mon visage quand je suis sur le pont de mon navire, ou alors quand je suis au milieu d’un champ de bataille et que mes ennemis me craignent. Au lieu de discourir sur le genre humain comme pourrait le faire Hippocrate, je te proposerais plus un bras de fer ou une autre compétition du genre. Tout ça pour te dire que… je ne suis pas… ça, dit-elle en désignant ses vêtements.
Kassandra s’était levée pendant sa tirade et faisait les cent pas, à la fin elle semblait à bout de souffle. Brasidas se leva lentement et s’approcha d’elle en silence. Il la prit ensuite par les épaules et la força à tourner son regard vers lui.
— Est-ce vrai ? demanda-t-il.
— Et bien oui, dit-elle en baissant les yeux.
Brasidas expira d’un coup et alors que Kassandra relevait les yeux, intriguée, il l’embrassa. Quand ils se séparèrent, Brasidas était surexcité.
— Je suis tellement soulagé ! Tu ne te rends pas compte. Tu m’as hypnotisé mais tu m’as tellement intimidé, je suis un capitaine je ne connais rien à l’aristocratie, à la subtilité de la séduction par la poésie ou toutes ces conneries. Moi je ne connais que les chansons de caserne et la gloire du champ de bataille, oui celle qu’on a dans les bars. Alors j’avais tellement peur que cette allure d’aristocrate soit ton véritable visage Kassandra.
Face à cette déclaration, Kassandra resta pantoise… Une demie seconde avant de se jeter sur Brasidas !
Les choses auraient pu prendre une tournure plus charnelle, plus physique, mais finalement les Moires devant s’ennuyer ferme, le destin décida de faire un croche-pied à Kassandra et de l’envoyer dans la boue.
Alors que les deux amants s’embrassaient fiévreusement des pas se firent entendre dans la pièce et une silhouette sortit de l’ombre.
— SALUTATIONS MA BELLE ALORS TU NE M’ATTENDS PLUS POUR LE CORPS À CORPS ? s’exclama Alcibiade.