JDR – Livre I : Les Rouages d’un Complot. (Acte 1)

Acte 1 : L’Étrange Cargaison.

Épisode 01.

Hôtel de l’Épervier, rue Saint-Guillaume, Paris, septembre 1633.

À l’Hôtel de l’Épervier, les Lames prenaient un repos bien mérité pour se remettre de leur précédente – et fructueuse – mission. 

Dans la salle principale du logis, Marciac, perché sur une chaise et se balançant doucement, battait distraitement les cartes. Au bout de la table, La Fargue, Agnès et Leprat, étaient en plein conciliabule, ne prêtant guère attention à la jeune Naïs qui s’agitait ici et là pour faire disparaître les restes du repas. Almadès, aux côtés de La Fargue, achevait distraitement son verre, trois gorgées par trois gorgées, comme à son habitude. Quant à Ballardieu, il escamota rapidement le pâté avant que Naïs ne l’emporte. Puis il se prépara une nouvelle tartine, indifférent à ce qui se passait autour de lui. Seul Saint-Lucq manquait à l’appel. Mais le fait leur était suffisamment coutumier pour que personne ne s’inquiète de savoir où il était. Ni ce à quoi il était occupé.

Soudainement, retentit à l’extérieur le bruit des sabots sur les pavés de la cour. Quelques secondes plus tard, Rochefort fit irruption dans la pièce. Sans un regard pour personne d’autre que La Fargue, il annonça alors à ce dernier : 

— J’ai à vous parler.

Les deux hommes s’isolèrent rapidement dans le bureau du capitaine des Lames tandis que les autres échangeaient des regards intrigués.

À la fin de l’entrevue, Rochefort reparti comme il était arrivé. Sortant de son bureau, La Fargue s’installa à califourchon sur une chaise, comme à son habitude. Il s’adressa ensuite à tout le monde.

— Nous avons une nouvelle mission. Plusieurs cargaisons suspectes ont été vues quittant l’Espagne sous la garde de mercenaires pouvant travailler pour la Griffe Noire. Le Cardinal veut que nous enquêtions et interceptions les cargaisons si nécessaire. Deux d’entre elles sont parties par voie terrestre, la dernière par voie maritime. Les agents de Rochefort intercepteront la cargaison venant de la mer, il nous incombe donc de retrouver les deux autres. Marciac et Laincourt viendront avec moi. Leprat, tu emmèneras Agnès et Almadès avec toi. Ballardieu, j’ai une autre mission à te confier.

— Mais…  commença à protester Ballardieu

— Agnès s’en sortira très bien, lui rétorqua La Fargue impassible.

Personne n’ayant d’autres objections ou remarques, tout le monde partit donc se préparer pour la mission. Chacun s’affairait, plus ou moins silencieusement, à sa tâche, déjà concentré sur la traque à venir. Ballardieu grommelait discrètement, mais suivait avec attention les gestes d’Agnès, s’assurant qu’elle n’oubliait rien. L’aidant dans sa tâche, il lui tendait ici et là les objets dont elle aurait besoin avant même qu’elle n’ait à les lui demander. 

Leprat et Laincourt ayant achevés rapidement leurs paquetages commencèrent alors à seller les chevaux. Marciac, charmeur comme à son habitude, badinait avec Naïs essayant de négocier quelques douceurs au sac de vivres qu’elle leur préparait à la va vite. Rougissante, la jeune fille jeta un œil à droite et à gauche et constatant que personne ne la voyait faire, ajouta finalement une bouteille de vin dans la gibecière qu’elle tendit au Gascon, récoltant une œillade complice de sa part. Le capitaine, lui, laissa à Almadès le soin de préparer son cheval tandis qu’il donnait à Guibot les consignes pour les prochains jours. Puis il prit Ballardieu à part, le temps de lui expliquer sa mission.

Quelques instants plus tard, la grande porte cochère de la cour de l’Épervier s’ouvrait pour laisser passer le groupe, minoré de Saint-Lucq toujours absent et de Ballardieu qui sur le pas de la porte, les regardait partir. Harnachés et équipés pour un long voyage, ils attirèrent les regards des passants qui durent s’écarter sur leur passage. 

Au pas, pour ne pas renverser quelqu’un, ils remontèrent la rue Saint-Guillaume. Puis, remontant celle du Vieux-Colombier, ils dépassèrent l’Abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Ils bifurquèrent alors sur la droite longeant les murs de Paris et les portes de Buci, Saint-Germain et Saint-Michel, où une foule se pressait déjà pour entrer dans la ville. Tournant le dos à la porte Saint-Michel, ils s’engagèrent ensuite sur la rue du Fer avant de longer et dépasser le Palais du Luxembourg. Ayant enfin laissé les faubourgs de Paris derrière eux, ils piquèrent alors des talons, lançant leur chevaux sur la route du sud qui s’ouvrait devant eux.

Épisode 02.

Martel,  Vicomté de Turenne, septembre 1633

Le groupe était descendu vers le sud à bride abattue pour retrouver la piste des chariots. Puis, après un dernier échange de consignes et un dernier regard, ils s’étaient séparés à Figeac. La Fargue, Marciac et Laincourt avaient piqué vers l’est et le convoi qui prenait la direction d’Aurillac. Leprat, Agnès et Almadès s’étaient chargés du convoi remontant visiblement vers Brive, à l’ouest.

Suivant la piste du groupe de mercenaires, Agnès, Almadès et Leprat avaient traversé quelques petits villages avant de perdre leurs traces. Arrivés en vue du village de Martel ils décidèrent donc de prendre le temps de se renseigner afin de s’assurer d’être toujours sur la bonne piste.

Entrant par le sud dans le village, qui tenait plus du grand hameau que d’un véritable village, ils échangèrent un regard en arrivant à hauteur d’une auberge. Sans un mot, Agnès descendit de son cheval pour s’engouffrer dans celle-ci.

La France en 1610. Le point rouge représente l’emplacement du village de Martel (cliquez pour voir en grand)

Sur le pas de la porte, d’un rapide coup d’œil Agnès fit le tour de la salle. L’établissement était presque vide. Deux tables dans un coin étaient occupées par quelques villageois. Un colporteur, ses sacoches à ses pieds, achevait de sécher un verre de vin au comptoir. Dans le fond de l’auberge, deux voyageurs terminaient une collation avant de repartir. L’entrée d’Agnès fit lever toutes les têtes. Même si elle était vêtue d’une tenue de cavalière relativement discrète, ses chausses et son corset attiraient immanquablement le regard. Tout comme la rapière à son côté. Cependant, ignorant les regards, qui ne tardèrent pas à se détourner d’elle, elle se dirigea droit vers le gargotier qui essuyait son comptoir.

Voyant Agnès se diriger vers lui, il se débarrassa de son chiffon et posa les coudes sur sa desserte.

— Qu’est-ce que je peux faire pour vous M’dame ?

Agnès esquissa un sourire avant de s’accouder à son tour.

— Vous n’auriez pas vu quelque chose d’inhabituel par ici ?

— Ma foi, commença l’aubergiste en se penchant un peu plus vers elle. Rien d’plus inhabituel que vous.

Le sourire d’Agnès se figea un peu alors qu’elle sortait une pièce de sa poche. Elle la posa sur le comptoir entre eux deux. La main du tavernier vola vers la pièce, mais celle d’Agnès resta fermement dessus.

—  Pas même un groupe de mercenaires escortant un chariot ?

— Ça s’pourrait bien…

Agnès fronça des sourcils et commença à ramener la pièce vers elle.

— Ils étaient plusieurs, reprit très vite l’homme. L’un d’entre eux, avec un fort accent espagnol est venu prendre des vivres puis ils ont quitté le village y’a quelques heures.  J’ai vu un chariot qui les attendait.

Satisfaite, Agnès lâcha la pièce que l’homme s’empressa d’escamoter et sortit de l’auberge. Sur le pas de celle-ci elle retrouva Leprat et Almadès qui avaient achevé leur tour du village sans rien trouver de notable.

Alors qu’Agnès remontait à cheval tout en leur faisant part de sa découverte, Leprat avisa du coin de l’œil deux hommes qui, sans trop se montrer, les observaient. Tandis qu’ils se mettaient en route vers les champs qui occupaient le nord du village, le mousquetaire posa ostentatoirement sa main droite sur la garde blanche de son épée et suivit les deux autres tout en gardant les deux hommes à l’œil.

À pieds, vêtus de tenues noires et brunes légères mais solides, rapières aux côtés et chapeaux à plume sur la tête, ils n’avaient absolument pas l’allure ni la tenue des locaux. Pas plus que celle de simples voyageurs innocents. Sans nul doute, une preuve de plus que les sbires de la Griffe Noire étaient bien passés par là.

À la sortie du village, les paysans étaient regroupés dans les champs, occupés à les retourner et les préparer pour leurs nouvelles cultures. En voyant les trois cavaliers s’approcher d’eux, quelques-uns se redressèrent curieux pour jeter un œil dans leur direction tandis que d’autres, indifférents, poursuivaient leurs manœuvres. C’est ce moment que choisirent les deux marauds pour se séparer. Si l’un d’entre eux resta clairement en vue du groupe, le second retourna prestement dans le village. D’un signe de tête, Leprat le désigna à Almadès. Sans un mot, ce dernier fit tourner sa monture pour se glisser dans son sillage.

Sur les pas du mercenaire, Almadès revint jusqu’à l’écurie. Il hésita un instant mais ne voyant pas l’autre ressortir, il y entra à son tour, discrètement. Aussitôt un jeune palefrenier vient s’enquérir de sa monture. Dans un box du fond, l’homme achevait de préparer la sienne, et n’avait visiblement pas repéré l’Espagnol. Alors qu’il échangeait à mi-voix quelques mots avec le palefrenier, qui ne savait absolument rien de cet homme, Almadès vit le mercenaire quitter d’un pas tranquille l’écurie. Mais dès qu’il eut franchi les portes, le soudard sauta sur sa monture et piqua des talons, partant au grand galop.

Almadès se précipita aussitôt sur son cheval, que le palefrenier n’avait pas eu le temps de déseller, et sautant en selle, se lança à la poursuite de l’homme. Très vite, ce dernier quitta le village et bifurqua vers l’ouest. Après quelques instants de chevauchée, conscient qu’il ne le rattraperait pas et qu’il s’éloignait drastiquement de Martel, Almadès se résolut alors à sortir son pistolet de ses fontes.

Le coup claqua en l’air, avertissement sonore du prochain à venir. Néanmoins cela n’arrêta pas le reître. Toujours au galop, il se retourna et tira au jugé sur Almadès. Le coup manqua largement ce dernier mais le message était clair. Calmement, l’Espagnol sortit son deuxième pistolet, prit le temps de viser et abattit le cheval du spadassin d’un tir bien ajusté. L’homme vida les étriers au moment où son cheval chuta. Il eut à peine le temps de se redresser qu’Almadès était déjà sur lui.

— Qui vous envoie ? Interrogea le maître d’armes.

— Je n’ai rien à vous dire, lança l’homme dans un français approximatif.

Il dégaina alors sa rapière et engagea le fer.

Après le départ d’Almadès et du premier des mercenaires, Leprat était resté concentré sur le second soudard. Celui-ci les observait désormais ostensiblement sans plus se cacher. Agnès quant à elle s’était approchée du groupe de paysans pour les interroger.

— Holà, braves gens, auriez-vous vous passer un chariot escorté par un groupe de mercenaires.

Deux des paysans s’approchèrent à l’appel de la jeune femme.

— Oui da, M’dame, répondit le premier.

— Y sont partis sur la route nord-est c’matin, ajouta le second.

De sa main maculée de terre, il indiqua vaguement du doigt une direction. Au loin l’on voyait la fin des champs et un morceau de chemin.

— Et combien étaient-ils ? demanda encore Agnès.

Le second paysan se tourna vers le premier. Ils réfléchirent ensemble quelques instants avant de reprendre la parole.

— Une quinzaine… p’t’être moins…

— Je vous remercie, lança Agnès avant de faire tourner son cheval pour revenir vers Leprat qui l’attendait sans avoir quitté l’homme du regard.

Constatant la présence du mercenaire, et agacée par celui-ci, Agnès échangea un regard entendu avec Leprat avant d’avancer vers le reître. Aussitôt l’homme se détacha du mur contre lequel il s’était adossé pour s’en retourner vers le village. Agnès lui emboîta doucement le pas alors que Leprat, une fois hors de vue, lança son cheval au galop pour le contourner.

Almadès para aisément le premier coup que lui porta le reître. Celui-ci était visiblement doué avec une lame mais bien loin d’égaler sa propre science. Le maître d’arme esquiva deux autres coups, portés vite mais maladroitement, avant de se fendre. Sa rapière passa la parade fragile du mercenaire et vint cruellement lui entailler le poignet. Sous la douleur, il lâcha son arme, se retrouvant à la merci de l’Espagnol.

Conscient que le spadassin ne dirait rien, Almadès s’approcha du cheval à terre. Gardant l’homme en vue, il commença à fouiller dans les sacoches.

En vain.

Alors qu’il se redressait, il aperçut le reître qui, profitant d’une seconde d’inattention de sa part, avait repris son arme. Se mettant de nouveau en garde, Almadès le laissa venir. Le second combat fut aussi rapide et bref que le premier, le spadassin n’étant clairement pas de taille à tenir tête à un épéiste aussi talentueux qu’Almadès. De nouveau désarmé, adossé à un arbre et le sang coulant d’une vilaine entaille, il était à bout de souffle alors qu’Almadès n’avait fourni qu’un effort minime.

— Je repose la question, commença Almadès d’une voix froide. Qui vous envoie et où va le chariot que vous escortez ?

L’autre hésita un instant avant de céder.

— Je travaille pour la Griffe Noire, avoua-t-il du bout des lèvres. Le groupe est parti à l’ouest, j’allais justement le rejoindre pour l’avertir de votre présence.

Retrouvant une once de courage, il se redressa un peu.

— Je n’ai rien de plus à vous dire !

— Soit, conclut Almadès.

Et avant que l’autre ne puisse réagir, il l’acheva d’un coup de lame.

Ayant rapidement fait le tour des quelques habitations de Martel, Leprat intercepta le fuyard alors qu’il s’en retournait vers l’écurie. Le mercenaire évalua rapidement la situation. Derrière lui, sa retraite était coupée par Agnès arrivant à cheval, le pistolet braqué sur lui. En face de lui, se tenait Leprat, pied à terre et sa lame tendue dans sa direction. À sa droite, une petite venelle, peu fréquentée et assez étroite pour empêcher un cheval de s’y mouvoir aisément. Sans hésiter, il s’engouffra dans celle-ci.

— Peste !

En jurant, Leprat s’élança à son tour dans la ruelle.

Agnès, un peu plus loin s’engagea dans une seconde venelle pour tenter de bloquer l’issue. Au prix de quelques efforts, Leprat finit par rattraper le mercenaire et lui crocheta les jambes, le projetant au sol. Avant que ce dernier n’ait pu se relever, il pointa sa lame blanche sur sa gorge.

— Je ne suis guère patient. Alors vous allez me dire dès à présent qui vous emploie et quelle est votre destination.

— Je ne suis qu’un guetteur, balbutia le soudard avec un fort accent espagnol. Je suis resté en arrière sur ordre de Dur-Poing pour vérifier que nous ne sommes pas suivis. J’ignore tout de notre employeur réel. Quant à la destination du chariot, ils devaient partir au nord mais se sachant suivis ont changé de trajectoire. Ils sont partis vers l’est.

Leprat le toisa une longue minute, sondant dans son regard s’il ne savait réellement rien ou s’il dissimulait encore des choses. Arrivée derrière lui, Agnès observait la scène en silence. Finalement, le mousquetaire recula d’un pas, abaissant sa lame et fit un signe de tête en direction de la rapière du maraud encore au fourreau.

— C’est le moment ou jamais de défendre votre vie, ordonna-t-il en se mettant en garde.

Le reître ne se fit pas prier. Se redressant, il s’empara de sa rapière et bondit sur le mousquetaire. Leprat laissa passer la première attaque et se retrouva dans son dos. Celui-ci se retourna rapidement, portant un coup de taille que Leprat para. La lame d’acier et la lame d’os crissèrent alors qu’elles glissaient l’une contre l’autre. Voyant leurs deux lames bloquées, le spadassin recula de quelques pas et porta un nouveau coup d’estoc, visant le flanc droit de Leprat. Ce dernier fit alors volte-face pour éviter la lame, puis d’un même mouvement, d’une fluidité mortelle, passa la parade précipitée et maladroite de son adversaire et fit mouche.

Le reître s’effondra sans un cri alors que Leprat retirait de sa gorge sa lame pleine de sang et l’essuyait négligemment sur les vêtements du mort.

Ayant laissé les deux hommes à leur combat, Agnès avait remonté la ruelle pour récupérer le cheval de Leprat. Elle revint avec ce dernier au moment même où celui-ci achevait de ranger sa lame. Ensemble, ils fouillèrent les sacoches et les poches du mercenaire mais n’y trouvèrent rien à part de la menue monnaie qu’Agnès empocha rapidement. Ils remontèrent alors à cheval à l’instant où Almadès entrait de nouveau dans le village.

En quelques mots, chacun fit part de ses avancements. Aux vues de leurs informations, il leur apparut très vite que les deux marauds avaient menti sur la destination du groupe. Aussi, se fiant aux dires des paysans, et sûrs de n’avoir plus personne à leurs trousses, ils prirent résolument la direction du nord-est et s’engagèrent sur la petite route qui quittait Martel.

Ils remontèrent ainsi la piste de la Griffe Noire. Parfois il leur était difficile de lire correctement les traces à cause de la fréquentation régulière des charrettes de marchandises. Mais tant bien que mal ils parvinrent à ne pas perdre leur groupe. Au trot, pour économiser un maximum leurs montures et conscients que le tombereau n’allait guère plus vite, ils passèrent ainsi la ville de Brive, puis Meilhard et arrivèrent à proximité de Sussac en fin d’après-midi.

Les traces se faisant de plus en plus fraîches, ils ralentirent jusqu’à passer au pas. Quelques kilomètres plus loin, alors qu’ils s’engageaient dans une portion forestière de la route, des éclats de lumière typique d’un feu de camp, leur apparurent.

Laissant son cheval à ses compagnons, Leprat se glissa furtivement entre les frondaisons jusqu’aux origines de la lumière. Dans une petite clairière un peu à l’écart de la route, la compagnie de mercenaires avait fait halte. Le mousquetaire aperçut d’abord le chariot, dont les deux chevaux avaient été dételés et paissaient tranquillement un peu à l’écart avec les chevaux des mercenaires. Près du tombereau, dont il pouvait apercevoir quelques caisses et tonneaux de loin, deux gardes discutaient tranquillement, peu concentrés sur leur surveillance. Un peu plus loin, il parvenait à distinguer quelques sentinelles. Enfin, au centre du campement, autour d’un feu qui venait d’être allumé, sept hommes mangeaient et buvaient, indifférents aux alentours.

Leprat repartit à pas de loup, prenant garde aux sentinelles et rejoignit ses compagnons. En quelques mots il leur fit un résumé de la situation. Ils arrêtèrent ensuite un plan d’action avant de se décider à souffler un peu.

Après tout, les mercenaires étaient partis pour passer la nuit ici et le vin avait commencé à couler.

Avec un peu de chance, cela leur faciliterait la tâche.

Épisode 03.

Aux alentours de Sussac, au cœur du Limousin, septembre 1633.

La France en 1610. Le point violet représente l’emplacement du campement des mercenaires (cliquez pour voir en grand)

Après deux heures de repos, les trois compagnons mirent en action leur stratégie. Enfourchant son cheval qu’elle mit au pas, avachie sur sa selle, Agnès remonta le chemin jusqu’au campement puis s’approcha de la sentinelle.

— Qui va là ? lança l’homme sur le qui-vive.

— Je suis sur la route depuis 2 jours. Je suis fourbue et mon cheval aussi. Me serait-il possible de partager votre feu de camp le temps de me reposer quelque peu ?

La sentinelle toisa la jeune femme de haut en bas, notant sa tenue de cavalière et la rapière à son côté.

— Je vais voir avec le chef. Attendez là !

La sentinelle s’éloigna quelques instants avant de revenir aussi vite.

— Venez…

Se glissant à la suite du garde, Agnès descendit de son cheval et pénétra dans le campement. Très vite, un homme vint la rejoindre. Il portait le même genre de vêtements que les deux spadassins qu’ils avaient croisés dans Martel. Son crâne rasé luisait dans la chiche lumière du feu. Une barbe de quelques jours masquait en partie le bas de son visage sur lequel Agnès aperçut de multiples cicatrices. Un éclat de lumière attira alors le regard de la jeune femme qui tomba sur la main gauche de l’homme. Ou du moins, sur la main en acier qu’il avait au bout du bras. Il ne fut guère difficile à Agnès de comprendre qu’elle était en présence du fameux Dur-Poing.

— Bonjour mon Seigneur, salua Agnès. Est-il possible de profiter de votre feu de camp quelques heures ?

Elle s’était exprimée d’un ton volontairement naïf. D’autant que l’homme n’avait absolument rien d’un « seigneur » …

— Mon Seigneur, souffla l’homme à la fois amusé et surpris. Je ne pensais pas qu’un jour on me donnerait un titre pareil. Enfin, si vous voulez rester un peu, je n’y vois pas d’inconvénient. Nous pourrions même ouvrir une bouteille pour vous, nous en avons déjà plusieurs de sorties.

Aux mots de son chef, l’un des mercenaires autour du feu leva sa bouteille dans la direction d’Agnès dans une invite claire. La jeune femme s’installa à côté de lui, prit la bouteille et trinqua aimablement avec eux. Dur-Poing la rejoignit et Agnès se tourna vers lui, entamant la discussion.

Le plan « diversion » était en marche.

Leprat et Almadès avaient profité de l’absence de la sentinelle guidant Agnès afin de se glisser au plus près du campement et plus particulièrement du chariot, légèrement excentré du reste de la clairière. Il avait été convenu que les deux hommes tenteraient d’en découvrir plus sur l’étrange cargaison, pendant qu’Agnès servirait de diversion. Et pour le moment, la ruse fonctionnait puisque les deux mercenaires restés à proximité de la cargaison s’étaient tournés en direction du feu tout en commentant en ricanant l’arrivée remarquée de la jeune femme.

Laissant Almadès en guetteur, Leprat se glissa dans les ombres, regrettant l’absence de Saint-Lucq. Avec le sang-mêlé à leurs côtés, l’affaire aurait été rondement menée et déjà achevée. Mais puisque ce dernier était absent, c’était à lui que revenait la tâche de s’approcher au plus près.

Surveillant du coin de l’œil les deux gardes, qui se tenaient fort heureusement vers le banc du conducteur et lui tournaient le dos, il se redressa juste à côté de la ridelle arrière du tombereau. Par chance il n’y avait pas de toile pour le fermer, aussi de sa position, il lui fut assez aisé d’apercevoir un enchevêtrement de caisses et de coffres. Malheureusement pour lui, les caisses étaient fermées et cloutées.

Un coffre métallique et couvert d’étranges signes et engrenages attira alors son regard. Le cadenas qui le fermait était de riche facture et muni de 5 roulettes codées chacune contenant les lettres de l’alphabet. Une fermeture bien complexe. Trop pour ne renfermer que des babioles. Et trop pour la forcer discrètement. Si tant est qu’il ait la moindre chance de la forcer. Leprat poussa un petit soupir agacé. Décidément cette expédition partait sous de mauvais auspices.

Autour du feu de camp, l’ambiance s’était plutôt détendue depuis l’arrivée d’Agnès. Elle avait néanmoins constaté que leur chef se méfiait encore un peu d’elle. L’un des hommes se rapprocha finalement un peu plus de la jeune femme.

— Alors, qu’est-ce qu’une demoiselle aussi charmante fait par ici ? demanda-t-il.

La main du mercenaire s’approcha doucement mais clairement des cuisses d’Agnès.

— Vous ne trouvez pas ça dangereux de voyager seule ? ajouta-t-il avec un petit sourire grivois.

Sans se départir de son calme, Agnès décala ses jambes et se tourna vers lui.

— Il s’agit de raisons familiales. Je souhaiterais par ailleurs les garder pour moi, elles ne vous concernent en rien.

— Et vous n’avez personne pour vous accompagner ou vous protéger ? insista l’homme.

Agnès eut une pensée rapide pour Ballardieu, qui, s’il avait été là, aurait déjà étendu le malandrin d’un bon coup de poing en pleine face. Le vieux soldat avait parfois tendance à oublier que la baronne de Vaudreuil était parfaitement capable de se débrouiller seule.

— Non, mon voyage est rapide, répondit Agnès. Je n’avais guère besoin de la présence de mon valet ou de mes gens avec moi.

Tout en acquiesçant, le maraud avait continué à s’approcher de la jeune femme. Mais sa main avait changé d’objectif. Elle se dirigeait maintenant doucement, mais sûrement vers les fesses d’Agnès sous les regards amusés de ses camarades attendant de voir la suite.  Voyant que Dur-Poing n’avait pas l’intention d’intervenir, et avait même volontairement détourné la tête, Agnès se leva.

— Est-ce ainsi que l’on traite vos invités ici ?

Le mercenaire lui lança un regard amusé et entendu.

— Allons, vous voyagez seule. Et nous aussi nous sommes seuls… ajouta le mercenaire en se levant à son tour.

Agnès retint un frisson de dégoût, aussi bien devant le ton employé que pour le sous-entendu explicite de cette remarque. Le reste du groupe éclata de rire devant la réaction de la jeune femme. Agnès porta ostensiblement la main à sa rapière.

Madre de dios, calmez-vous Señora ! Vous n’escomptez tout de même point croiser le fer avec nous ? s’amusa encore le mercenaire.

Une lueur assassine brilla dans le regard d’Agnès.

— Si vous persistez à vous comporter comme un rustre, cela ne me déplairait point !

Du coin de l’œil, Agnès capta le sourire qui s’était dessiné sur les lèvres de Dur-Poing. Si les grimaces sur les visages du reste du groupe étaient franchement amusées et grivoises, celle de leur chef laissait entrevoir une pointe d’admiration envers elle. Agnès se tourna alors vers lui.

— Rappelez vos hommes ! Si j’ai coutume de voyager seule, vous imaginez bien que j’ai coutume de me défendre également !

Dur-Poing se fendit alors d’un vrai sourire qui laissa voir des dents jaunâtres.

— J’apprécie votre tempérament.

Son sourire disparut et il se tourna vers ses hommes.

— Tirez-vous ! ordonna-t-il d’un ton ferme.

— Mais…

— Qu’est-ce que je viens de te dire Pedro ?

Le dénommé Pedro baissa les yeux et s’écarta ostensiblement d’Agnès pour aller s’asseoir plus loin. Trois autres quittèrent le feu de camp pour aller s’allonger à l’autre bout du campement et il ne resta bientôt que Dur-Poing et deux hommes avec la jeune femme.

Toujours à proximité du chariot, Leprat avisa, un peu plus près des deux gardes, des tonneaux, qui ne semblaient pas scellés. Par chance, l’agitation au niveau du feu de camp continuait de distraire les deux mercenaires qui s’amusaient clairement de la situation de leurs compagnons d’armes, remis à leur place par la voyageuse.

C’était le moment ou jamais

Leprat s’approcha et se hissa par-dessus la ridelle. Soulevant avec précautions l’un des couvercles, il resta saisi quelques secondes devant le liquide doré et chatoyant que la chiche lueur du feu faisait miroiter. Et qui remplissait entièrement le baril. Soulevant le second couvercle, il constata que le second tonneau contenait la même chose.

De la jusquiame.

En quantité importante et en provenance directe d’Espagne.

De quoi stimuler des dizaines de dragons.

Et déclencher un carnage au Royaume de France.

En grande partie dissimulé par le large tronc d’un vieux chêne, dont la parure avait pris les flamboyantes couleurs de l’automne, Almadès menait une garde vigilante. Gardant dans son champ de vision Leprat qui fouillait le chariot, il ne perdait pas non plus de vue la sentinelle la plus proche, prêt à avertir son compagnon au moindre danger.

Bien lui en prit.

Alors que Leprat s’éloignait du chariot après avoir fait le tour de son contenu, Almadès aperçut l’une des sentinelles qui s’était mise en mouvement. Si elle ne pouvait pas encore voir distinctement Leprat, dissimulé par un roncier assez dense, il était clair qu’elle avait repéré sa silhouette et venait vérifier. Heureusement pour eux, l’homme était visiblement perfectionniste et n’avait pas lancé l’alarme sur une simple suspicion.

D’un signe de tête et d’un discret mouvement, Almadès signala le danger au mousquetaire, qui, fort heureusement, gardait également un œil sur lui. De sa position, Almadès aperçut clairement Leprat s’aplatir encore plus derrière les ronces afin de contourner la sentinelle. Puis d’un bond, le mousquetaire se redressa, plaqua sa main gauche sur la bouche du mercenaire et d’un même mouvement dégaina sa dague de main droite pour l’égorger. Accompagnant la chute du corps, Leprat dissimula celui-ci dans le roncier puis rejoignit Almadès.

— Merci.

Almadès acquiesça d’un signe de tête avant de montrer les positions des deux autres sentinelles. S’ils voulaient prendre le campement par surprise, il allait leur falloir se débarrasser de ces deux-là également. Se séparant, ils se chargèrent chacun d’un des gardes, qu’ils n’eurent aucun mal à éliminer furtivement.

Agnès, toujours installée auprès du feu remarqua soudain le regard de Dur-Poing qui s’égarait vers l’extérieur de la clairière. Et l’emplacement de la sentinelle la plus proche dont il n’apercevait plus la silhouette. Il lança un bref ordre en espagnol à l’un des hommes à ses côtés. Si Agnès ne put en comprendre la signification, il ne lui fut pas difficile d’en saisir la teneur lorsqu’elle vit le soudard s’éloigner vers la limite du bosquet.

—  Nous avons beaucoup parlé de moi mais je ne sais rien de vous capitaine, minauda la jeune femme pour tenter de le distraire.

Dur-Poing quitta l’homme des yeux pour se retourner vers elle à nouveau.

—  Il n’y a pas grand-chose à dire, ma foi. Je suis sur les routes depuis bien longtemps. Et j’y ai déjà laissé quelques morceaux…

Le regard d’Agnès tomba de nouveau sur la main en acier de l’homme.

Quelques morceaux…

C’était le cas de le dire…

Alors qu’il s’apprêtait à revenir auprès de Leprat, vers le chariot, Almadès vit le mercenaire qui s’était éloigné du campement, se placer à la lisière de la clairière. Puis il lança un appel en direction de la sentinelle que l’Espagnol venait d’égorger.

 ¿ Alvaro, está todo bien ?

Almadès n’hésita qu’une fraction de seconde. S’enfonçant un peu plus dans les broussailles pour dissimuler sa silhouette, il répondit à mi-voix.

—  Sí, todo va bien.

L’homme ne partit pas pour autant et Almadès pu le voir scruter les alentours, visiblement à la recherche des deux autres sentinelles.

¿ Dónde están los otros ?

L’annonce du soldat fit se redresser Dur-Poing, qui scruta avidement les alentours. L’atmosphère changea dans le campement, Agnès put le ressentir. Tentant le tout pour le tout, elle se tourna de nouveau vers le chef du groupe.

— Un problème ?

— Restez-là ! lui répondit Dur-Poing en se levant. Je dois régler quelque chose.

Partant en direction du reste du groupe, qui se reposait à l’écart, il se mit à lancer quelques ordres.

En voyant un début d’agitation dans le campement, Leprat comprit immédiatement que malgré le subterfuge d’Almadès, l’absence des sentinelles avait été remarquée. Sans hésiter plus, il se dirigea vers les deux gardes encore auprès du chariot. Se glissant le long de l’attelage, il passa sa dague dans sa main gauche et poignarda rapidement le mercenaire qui s’accoudait au banc du conducteur. Discutant vivement avec son comparse, assis sur ledit banc, celui-ci ne vit même pas la mort venir. Leprat s’apprêtait à se hisser sur le platelage pour atteindre le deuxième mercenaire quand un coup de feu claqua dans l’air. Atteint à l’épaule, le garde s’effondra dans un cri. 

Le mousquetaire eut juste le temps de voir Almadès à quelques mètres de là, bras tendu et pistolet fumant…

… puis tout se précipita.

Le coup de feu stupéfia tout le monde autour du feu de camp une infime fraction de seconde. Agnès comprit alors que ses compagnons étaient passés à l’attaque.

—  Alerte ! hurla Dur-Poing en accélérant le pas vers les dormeurs.

Avant que les mercenaires ne puissent réaliser le rôle qu’elle avait joué dans l’affaire, Agnès dégaina sa rapière et se redressa.

—  Le moment est venu de répondre de l’affront que vous m’avez fait.

Sans hésiter, elle se fendit, forçant le mercenaire en face d’elle à dégainer sa rapière et à engager le combat. Très vite, deux autres soldats, celui qui avait donné l’alerte, et Pedro qui s’était éloigné après les remontrances de son chef, rejoignirent les deux combattants et se mêlèrent à l’assaut.

Après avoir abattu le conducteur du chariot, Almadès était entré dans le campement juste devant le nez de Dur-Poing. Le chef des mercenaires avait bifurqué en direction de l’Espagnol et le combat s’était engagé.

Si les quelques mercenaires qu’il avait affrontés jusque-là n’avaient pas posé de problème à Almadès, le maître d’armes comprit très vite que Dur-Poing serait d’une autre trempe. Rapide et véloce, le reître n’eut aucun mal à parer ses coups d’estoc et parvint même à le faire reculer. Se fendant, Almadès frappa soudain de taille. Dur-Poing para et riposta aussitôt. Prenant du champ, les deux adversaires se jaugèrent du regard puis repartirent à l’assaut. Parades et ripostes se succédèrent, l’un reculant, l’autre avançant. Puis inversement selon qui avait le dessus.

L’effort crispait leurs traits, de la sueur coulait le long de leurs tempes et leurs lames cliquetaient à chaque rencontre. Mais pas un ne parvenait à prendre clairement le dessus sur l’autre.

Après s’être assuré que le reître touché par Almadès était bien hors d’état de nuire, Leprat s’était dirigé vers les trois mercenaires en train de dormir à l’écart. L’agitation, le coup de feu et les cris de leur chef les avaient réveillés mais ils n’avaient pas encore eu le temps de s’organiser.

Voulant se jeter sur l’ennemi, l’un des spadassins se prit les pieds dans sa couverture et s’étala au sol alors même que Leprat arrivait sur eux. Sans ralentir, le mousquetaire lui asséna un violent coup de pied dans le menton, le sonnant pour le compte. Puis, l’épée au clair et la dague dans la main droite, il chargea les deux autres. D’un coup de dague, il dévia la lame de l’un des mercenaires, laissant passer l’autre à côté de lui dans une charge trop rapide. Puis il pivota sur lui-même en levant sa rapière à hauteur d’épaule, égorgeant le reître qui, revenant à la charge après l’avoir dépassé, allait le frapper par-derrière.

Entre temps, l’autre avait dégagé sa lame et revenait à l’assaut. Lui laissant l’initiative, Leprat rompit et recula d’un pas. L’homme reprit confiance. Il s’approcha, porta un coup de taille que Leprat stoppa de sa lame. Les deux épées restèrent engagées l’une contre l’autre alors que les deux hommes cherchaient à faire rompre l’autre. Leprat sembla céder le premier. Sa lame s’abaissa sous la force de son adversaire. Un sourire satisfait apparut alors sur le visage de l’homme. Sourire qui mourut en même temps que lui lorsque la dague du mousquetaire se planta entre ses côtes, trouvant le chemin de son cœur que Leprat l’avait poussé à découvrir.

D’un regard circulaire, Leprat fit le tour du campement pour voir comment ses compagnons s’en sortaient. Almadès et Dur-Poing, toujours au corps-à-corps, ne parvenaient visiblement pas à conclure leur assaut. Quant à Agnès, elle faisait toujours face à trois adversaires et semblait en difficulté. Sans hésiter davantage, Leprat sortit son pistolet, l’arma et visa posément.

Agnès para un coup d’estoc venant de l’homme sur sa dextre et recula de deux pas sous les assauts combinés des deux spadassins à sa gauche. Un nouveau coup de feu claqua dans l’air et le mercenaire à sa droite s’effondra brusquement, une balle en pleine tête. À l’autre bout du camp, Agnès vit Leprat lui adresser un signe de tête avant de rejoindre Almadès et Dur-Poing, toujours en train de combattre.

Libérée d’un des reîtres, Agnès put se concentrer sur les deux restants devant elle. Les deux mercenaires savaient se battre sans se gêner, ce qui lui compliquait quelque peu la tâche. Reculant encore, elle continua de se défendre contre les deux lames qu’elle réussit enfin, d’un même mouvement de fer, à rabattre vers le sol. Cela déséquilibra brusquement ses adversaires et exposa tout particulièrement l’un d’eux. D’un vif coup de pied, elle le fit basculer en avant, droit à la rencontre du feu de camp. Il s’y effondra la tête la première, s’assommant contre l’une des bûches. Une odeur atroce de chair brûlée envahit alors l’atmosphère mais Agnès n’y prit pas garde concentrée sur son dernier adversaire.

C’était Pedro, celui qui lui avait fait des avances plus que grossières.

Un sourire se dessina alors sur le visage de la jeune femme.

C’était à son tour de jouer maintenant.

Almadès n’avait toujours pas réussi à prendre le dessus sur Dur-Poing. Néanmoins il ne cédait rien non plus. Finalement, au terme d’une manœuvre audacieuse, Almadès parvint à franchir la garde de son adversaire et lui asséna coup de pommeau sur la tempe. Le reître accusa le coup dans un grognement. Cependant, déséquilibré par son mouvement, Almadès n’avait pu y mettre suffisamment de force pour assommer l’autre qui repartit de plus belle au combat.

La rage au ventre, après avoir reçu de nouveaux coups qui avaient laissé des entailles sur son flanc et son bras gauche, Dur-Poing chargea Almadès, l’épée haute tenue à deux mains. Almadès para rapidement les coups et tenta une feinte. Malheureusement, son adversaire vit venir le coup qui ne porta pas assez. Dur-Poing répliqua aussi d’une attaque de taille. Mais alors qu’Almadès levait l’épée pour stopper la lame adverse, d’un brusque pivot et d’un revers de bras, au bout duquel se trouvait sa main d’acier, le spadassin frappa violemment l’Espagnol à l’épaule.

L’épaule pulsant sous la douleur, Almadès remarqua du coin de l’œil Agnès qui achevait son adversaire et Leprat qui approchait.

— C’est fini, déclara-t-il. Rendez-vous maintenant.

— Jamais, éructa le reître. Il faudra me tuer !

Et il fonça de plus belle sur Almadès. Parant les coups, Almadès rompit brusquement sur la droite, entraînant son adversaire à sa suite. Sûr de sa victoire, ce dernier suivit le mouvement. Il ne vit pas que l’Espagnol l’avait amené directement dans l’axe de Leprat. Ce dernier, profitant que le chef des mercenaires lui tournait le dos, attrapa son pistolet par le canon et d’un violent coup de crosse assomma Dur-Poing qui s’effondra.

Quelques heures plus tard, après avoir pris un peu de repos, les Lames commencèrent la fouille plus approfondie du chariot. Faisant sauter les couvercles des caisses, ils découvrirent à l’intérieur de celles-ci un enchevêtrement de peaux tannées et divers bocaux contenant des organes séchés. Repoussant le tout avec dégoût, ils s’approchèrent ensuite du coffre ouvragé que Leprat avait remarqué lors de son premier repérage mais il leur fut vite évident qu’aucun d’entre eux n’avait les capacités pour le forcer. Ils se décidèrent donc à interroger leurs prisonniers. Ignorant les deux mercenaires blessés, qui n’étaient que des hommes de main et ne sauraient rien, ils se concentrèrent sur Dur-Poing.

— Qu’avez-vous à nous dire sur votre cargaison, votre destination et vos ordres ? questionna Agnès d’une voix froide.

— Rien, répondit aussitôt Dur-Poing d’un ton de défi.

Agnès retint un soupir d’agacement. D’une pression du poignet, elle fit jaillir le fin stylet caché dans le pommeau de sa rapière et le fit glisser contre le flanc du mercenaire.

— Je préfèrerais ne pas en arriver là, mais nous n’avons que très peu de temps à perdre. Il nous faut ces réponses, insista Agnès.

— Vous êtes juste un mercenaire non ? reprit-elle. Vous allez là où l’or vous mène et n’avez pas spécialement de loyauté envers la Griffe Noire… Alors, souhaitez-vous vraiment mourir pour eux ?

— C’est n’est pas totalement faux, reconnut Dur-poing en baissant la tête.

Du menton, il désigna la poche de son pourpoint.

— Avez-vous lu la missive ?

Tout en s’assurant d’une légère pression de son stylet que le mercenaire ne tenterait pas un mauvais tour, Agnès, plongea la main dans la poche pour en sortir un pli cacheté froissé. Sur celui-ci était simplement indiquée une adresse : « Enseigne du Pot Cassé, rue de la Potterie ». Mais une fois dépliée, elle remarqua un mystérieux message à l’intérieur.

Les trois compagnons échangèrent un regard puis sans un mot, Agnès se pencha sur le cadenas et fit glisser les 5 molettes pour former le mot « carte ». Un léger clic se fit entendre au moment de l’ouverture, puis elle souleva le couvercle.

Dans le coffre, se trouvaient des fioles, de diverses tailles, contenant un liquide carmin. Almadès s’empara de l’une d’entre elles et fit sauter le bouchon de cire pour renifler légèrement le liquide.

— Du sang, confirma-t-il aux deux autres.

— Pouvez-vous nous expliquer tout cela, exigea Leprat d’un ton dur en se tournant vers Dur-Poing.

— Je n’ai jamais ouvert ni l’enveloppe, ni ce coffre… reconnut Dur-Poing.

— Et votre contact en Espagne ? s’enquit Almadès.

— Un gentilhomme âgé d’une soixantaine d’années. Barbe grisonnante, allure de vieillard, bésicles sur le nez. Ça ne m’étonnerait point qu’il soit un dragon, mais sans certitudes. Tout ce que je sais c’est qu’il payait bien. Je n’ai pas son nom.

Avec un regard dégoûté ils refermèrent alors fioles, coffres et caisses. Puis ils attachèrent les deux mercenaires blessés à un arbre, libérèrent les chevaux en surplus et firent monter Dur-Poing, solidement attaché dans le chariot. Après avoir attelé celui-ci, Almadès sauta sur le banc du conducteur et le groupe reprit la route vers Paris et l’Hôtel de l’Épervier où ils arrivèrent quelques jours plus tard sans encombre.

À suivre dans l’Acte 2…

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