Déboires Familiaux, Volume 3

On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu’on prend pour l’éviter.

Il ne m’avait pas fallu pas beaucoup de temps pour récolter de nombreuses informations au sujet des Volkihar car même s’ils se terraient dans les steppes gelées, le clan était bien connu de la population. La terreur inspirant aux hommes des légendes assez folles, il était difficile de séparer les faits réels des légendes colportées par la trop grande imagination des gens. Mon enquête ralentissait à mesure que ce flot d’informations grandissait. Cependant, les mêmes détails ressortaient toujours, « une puissante tribu », « des êtres paranoïaques et cruels », de belles réjouissances en perspective…

— Puis-je te poser une question ? Me demanda Rayya alors que je parcourais mon courrier hebdomadaire.

— Bien sûr, répondis-je en arrêtant ma lecture.

— Pourquoi te lances-tu dans cette quête ? Si je puis me permettre, tu n’étais pas si proche de ta famille de Bordeciel.

— J’ai à coeur de leur rendre justice, car s’il faut compter sur l’enquête officiel et les gardes incompétents d’Epervine nous n’irons pas loin. Comment ces vampires pourraient-ils s’en tirer à si bon compte ? Je ne comprends pas, et je ne peux le tolérer…

Mes nombreux courriers au Jarl d’Epervine n’avaient abouti à rien. Les premières réponses écrites de la main du chambellan étaient pleine de compassion mais évasives et n’apportaient aucune réponse concrète à mes demandes pourtant bien précises. À quoi pouvais-je bien m’attendre ? Il était de notoriété public que ce Jarl bon à rien préférait les pots-de-vins à la justice, et il m’en avait maintenant convaincue. Les lettres que j’avais ramené de Solitude comme preuves ne furent cependant d’aucune utilité. Qu’espérais-je de toute façon ? Conduire les vampires en jugement ? Cela n’avait pourtant rien de risible. Était-il si illusoire de leur demander de rendre des comptes ?

— Loin de moi l’idée d’influencer ton jugement, de douter de ton courage ni même de remettre en question la cause que tu veux défendre, répondit Rayya, mais puis-je te demander où cette enquête que tu mènes depuis des mois va te mener ?

— À un plan d’action, qui je l’espère ne se résumera pas à me présenter devant la porte principale de leur château pour demander à y être reçue.

Rayya ne me voulait aucun mal, bien au contraire, mais je comprenais à ses propos qu’elle trouvait ma soudaine quête de justice assez illusoire.

— Je sais que c’est illusoire… soupirais-je. Mais je pensais naïvement trouver des alliés.

— Il n’est pas difficile de trouver des personnes qui auraient des comptes à régler avec ces vampires, dit Rayya. Mais il est plus difficile d’en trouver avec le courage nécessaire pour brandir une arme contre eux.

Rayya avait mis le doigt sur le plus gros problème. J’avais en vérité bien peu d’informations utiles pour établir un véritable plan d’action.

• • • 

Au fil des jours, la colère qui m’avait envahi suite à la découverte de la vérité sur le complot qui avait frappé ma famille retomba peu à peu. Je dois dire que mes filles m’apportèrent en cette période difficile un grand réconfort. Les jours passèrent et mon esprit commença à s’apaiser. Je profitais alors de la quiétude de mon foyer. Mais il faut croire que parfois, le destin en décide autrement. Ma vie de guerrière m’avait fait rencontrer de nombreux dangers mais je n’avais encore jamais envisagé la possibilité que ma famille puisse affronter les mêmes épreuves.

Une nuit de primeetoile, alors que tout le monde dormait paisiblement dans le Manoir, un vampire s’introduisit dans notre foyer. Il s’agissait d’un jeune vampire, mandaté pour récupérer dans nos coffres le Calice de Pierresang. Je suppose que mes exploits aux sources sanglantes avaient eu des répercussions et que des indices laissés sur place avaient mené cet homme chez nous. Je ne sais si son commanditaire avait prévu qu’il tente de nous tuer où s’il devait mener sa mission en toute discretion, mais soumis à ces pulsions primaires, le vampire vrilla complètement et une lutte terrible s’ensuivi.

Lucia aurait pu mourir cette nuit là, peut être même aurions nous tous pu mourir. Ce fût la première fois que ma vie de guerrière impactait mes filles et je prenais douloureusement conscience de cette réalité.

Après cet incident, Lucia fit des cauchemars pendant de longues semaines. Elle, qui incarnait la joie de vivre dans la maison n’était plus que l’ombre d’elle même. Dorthe remplissait comme toujours son rôle d’ainée à la perfection, tentant de réconforter au mieux sa jeune soeur dans les moments les plus difficiles.

Pour ma part, je me laissais peu à peu consumer par la peur et la haine et je ressortis de cette épreuve profondément bouleversée. Cette nuit m’avait montrée à quel point cette bulle, ce petit havre de paix que représentait le Manoir du Lac dans laquelle nous vivions pouvait être impacté par les aventures que je menais en Bordeciel.

Comment avais-je pu être aussi naïve ? Comment avais-je pu créer ce foyer, adopter ces enfants alors que ma vie me poussait à affronter tant de dangers ? J’avais toujours pensé leur avoir apporté une meilleure vie que celle qui les attendait à l’orphelinat et je compris à quel point j’avais eu tort.

Cette prise de conscience qui naissait en moi tardivement ne me poussa pas à me ranger, bien au contraire. La haine grandissait en moi, et il fut clair dans mon esprit que pour protéger les miens il fallait que je règle le problème des vampires une bonne fois pour toute.

• • • 

Voilà des mois que je menais mon enquête. Multipliant les allers-retours à Blancherive et les missives auprès de mes différents contacts de Solitude. Obnubilée par ma recherche d’informations, je m’enfermais des heures dans la bibliothèque du manoir, à l’abris de toute déconcentration.

J’avais mis en place mon propre réseau de surveillance. Evette et quelques autres marchands de Solitude devaient m’indiquer d’éventuelles allées et venues de ce fameux marchand bosmer qui avait été le contact du cuisinier dans cette histoire. Mais l’homme devait être prudent, ou occupé ailleurs, car aucune information supplémentaire ne me parvint à son sujet. Aucune piste au sujet du vampire qui nous avait agressé non plus, ni du commendataire.

Je me rendais rapidement compte que lorsqu’il s’agissait de la traque d’êtres immortels, mon humanité jouait en ma défaveur. Car si eux pouvaient se permettre d’être éternellement patients, pour moi le temps était compté.

— Tu dors le jour, tu vis la nuit, me fit remarquer Rayya. Elle patienta un instant puis repris. Tu deviens pâle à force de ne pas voir les rayons du soleil.

Toujours sans réponse de ma part elle insista, avec un cynisme qui ne lui ressemblait pas.

— Tu ressembles de plus en plus aux monstres que tu traques.

— Que viens tu faire ici Rayya ? M’emportais-je. Me faire la morale sans doute ?

— Il est vrai, répondit Rayya. Je peux comprendre ton besoin de vengeance, mais on parle ici du clan des Volkihar…

— Et ? Répondis-je sur un ton de défi. Toi Rayya, tu laisserais passer sans rien faire, parce que l’adversaire t’effraie ?

Rayya haussa un sourcil, c’était sans doute la première fois que je sous-entendais à mon amie qu’elle puisse manquer de courage. Elle laissa passer un moment puis reprit.

— Lucia n’a pas besoin que tu la venges, Lucia a besoin de toi. Je pensais que cette évidence te sauterait au nez après deux mois d’enfermement, mais il n’en est rien. Alors me voilà.

— Tu dormais Rayya cette nuit là, il aurait pu te tuer dans ton sommeil. Alors que tu rêvais paisiblement, nous aurions tous pu mourir, assénais-je froidement.

— Si nous ne sommes pas mort, c’est que notre moment n’était pas venu.

— Toi et tes croyances… soupirais-je.

Alors que je continuais de feuilleter mes différentes notes, Rayya reprit.

— La culpabilité te ronge de l’intérieur.

— Oui ! Répondis-je en repoussant les lettres du bureau. Bien sûr qu’elle me ronge. J’ai lié le destin de ces filles à moi, pensant, dans ma grande bonté leur apporter le confort, la sécurité, un foyer…

— Tu as sauvé ses filles, me coupa Rayya. Dorthe par son entêtement aurait traversé Bordeciel à pied pour rentrer à Rivebois. Elle serait morte ou pire à l’heure actuelle si tu ne l’avais pas pris sous ton aile. Et Lucia se préparait à passer l’hiver en dormant dans les rues de Blancherive.

— Peut-être aurait-il mieux fallu pour elles…

— Lucia se remettra, déclara Dorthe qui avait suivi une partie de la conversation depuis le seuil de la porte. Cela l’a endurcie, mais elle s’en remettra. Et nous aurions toutes les deux préférées mourir dans cette vie qu’en avoir connue une autre.

Des larmes coulèrent sur mes joues, mais de dos Dorthe et Rayya ne pouvait pas les voir. Je repris frénétiquement la rédaction de ma lettre alors qu’elles partaient de la pièce.

• • • 

Je partis peu de temps après, continuer mes recherches directement à Solitude. Le temps me pressait et les courriers mettaient bien trop de temps à m’arriver.

Je pris mes quartiers à la taverne du Ragnard pervers où les habitués apprirent vite à m’éviter et à ne pas m’adresser la parole. J’étais en très mauvais terme avec la barde Lisette, dont je m’étais plainte à de nombreuses reprises pour avoir troublé par ces chansons mes nuits pourtant courtes. Le tavernier m’avait cependant répondu qu’il valait mieux dans ce cas dormir la nuit et non le jour. Un point sur lequel nous restâmes en désaccord.

Toute personne au teint pâle devenait suspecte à mes yeux, et je commençais à suivre tout et n’importe qui sans grande raison apparente. Étonnée de ne recevoir que peu d’informations de la part du guetteur chargé de surveiller les rives au nord de Solitude afin de m’informer du moindre mouvement en provenance du Château Volkihar, je décida de me passer de ses services. Je pris donc mon paquetage, et au grand bonheur du tavernier, je pris la direction du Nord, pour surveiller le lieu moi-même. À ce stade je n’avais plus confiance en personne, et je soupçonnais ce guetteur de garder pour lui des informations capitales de peur de représailles de la part des vampires. Avait-il même surveillé les lieux ? Je ne pouvais qu’en douter.

Si mes années passées en Val-Boisé m’avait appris à vivre en accord avec la nature, je n’étais pas préparé au froid qui sévissait à cette période de l’année au nord de Bordeciel. Ce mois d’attente à surveiller la forteresse des vampires et les étendues gelées de la mer des fantômes fût particulièrement éprouvant, et se solda malheureusement sur un échec. L’île restait figée, immobile au milieu de la mer des Fantômes et absolument aucune ombre ne semblait l’animer.

Pendant quelques jours parfois, la brume et la neige rendait le château indétectable. Tout cela semblait alors n’avoir été qu’une folie passagère, crée par mon esprit tourmenté. Mais l’île finissait toujours par réapparaître.

Je décidais d’abandonner mes recherches sur place lorsque j’appris une légende au sujet du clan Volkihar au sujet d’une étrange capacité leur permettant, selon les dires de certains autochtones, de se déplacer sous la glace. Cela pouvait-il être vrai ? J’avais entendu tellement de choses insensées à leur sujet que je n’arrivais plus à déceler le vrai du faux. Mais si cela s’avérait vrai, je pouvais bien mourir congelée ici que je n’aurais toujours pas aperçu le moindre vampire.

Il était temps de canaliser ma haine envers le vampire pour monter un plan plus constructif.

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