Scénario du RP : Zoryynn
Joueurs : Adripeal, Aëla, Puzzle, Vayne
Novélisation du texte : Arkady, Zoryynn

Il fait nuit. Une nuit noire, sans autre lumière que la lueur blafarde de la pleine lune. La cime des arbres, haute et droite, se balance doucement au gré d’une petite brise froide qui siffle lugubrement dans la nuit. De temps en temps, le hululement d’une chouette perce le silence épais de la forêt avant de vite être étouffée par les feuillages. Au sol, les animaux se terrent dans leurs terriers. Dans les branches, les oiseaux nocturnes hésitent à prendre leur envol. Le silence règne presque intégralement. Et le temps semble comme suspendu… Figé dans une nuit sombre, froide et éternelle.
Au centre d’une clairière, en plein cœur de l’immense forêt de pins, de hêtres et de chênes, niché dans cet écrin de verdure qui pour le moment n’est qu’une ombre noire et angoissante, se dresse un manoir. De pierres sombres, aux nombreuses tourelles hautes et étroites, recouvertes de lichen et de lierre, il semble abandonné. Pourtant, une lueur discrète s’échappe à travers les vieux volets de bois qui couvrent toutes les fenêtres. Si un curieux venait à poser son oreille sur un de ces volets, il entendrait alors le léger brouhaha des nombreuses discussions qui se déroulent à l’intérieur.
Parce que oui, si la bâtisse a tout d’un manoir abandonné, vide, elle est loin de l’être !
Un craquement de brindilles à l’orée de la clairière fait s’envoler une effraie et s’enfuir quelques rongeurs. Deux yeux lumineux se mettent à briller puis une silhouette trapue se découpe dans la lueur de la lune et s’approche à pas discrets de la porte. Celle-ci contourne au passage le petit lac, aux eaux aussi noires que la nuit et qui clapotent doucement à quelques mètres de l’entrée. Puis il grimpe les quelques marches du perron et un poing massif vint frapper une fois, deux fois, trois fois contre les battant en chêne brut de la porte. Dans le manoir, le silence se fait soudain.
Dans un grincement le battant de chêne tourne finalement sur lui-même, révélant la haute et élancée silhouette du maître des lieux. Grand et fin, la peau pâle à l’extrême, les yeux d’un rouge profond et l’allure d’un dandy, il jette un œil circonspect au visiteur avant de se fendre d’un sourire sincère qui révèle des crocs aiguisés.
— Entre donc, nous n’attendions plus que toi ! annonce-t-il en s’écartant de la porte dans un glissement silencieux.
L’invité se glisse dans l’entrebâillement, se baissant pour ne pas cogner contre le linteau de cette dernière. Une des énormes cornes qui sortent de son front manque de s’accrocher dans une torche suspendue sur un mur tandis qu’il se redresse ensuite de toute sa hauteur. Ses sabots larges et épais résonnent sur le sol en pierres nues tandis qu’il suit son hôte jusqu’à la salle de réception, essuyant d’un revers de bras l’humidité qui coule de son mufle. Dans la pièce, le silence est toujours présent, mais à l’arrivée de cet étrange invité, les discussions reprennent brusquement, entrecoupées de salutations pour le nouveau venu. L’arrivant marque un instant de surprise devant tant de monde puis se glisse volontiers dans la pièce et se mêle aux conversations.
Pour l’occasion, la grande salle de réception a été rouverte par le maître des lieux qui l’a parée de ses plus belles broderies, a sorti ses verres taillés et sa plus belle vaisselle. Sur le mur du fond, une large table permet aux convives de se servir en nourriture et en boissons. Le long des autres murs, des bancs recouverts d’étoffes et des faudesteuils ont été installés, pour ceux souhaitant discuter tranquillement assis. Partout dans la pièce se pressent les nombreux invités.
Ici, deux gobelins discutent tranquillement de leur dernière sortie en plein bourg pour semer la terreur. Là un fantôme explique à ses confrères comment il a rendu la vie dure à la famille installée dans son manoir. Là encore un loup-garou raconte avec fierté ses derniers exploits face à un petit groupe de guerriers perdus en pleine campagne, tandis qu’une créature humanoïde à tête de poisson se vante de la fin tragique d’un groupe d’explorateurs un peu trop curieux.
Adripeal, le minotaure qui vient d’arriver bon dernier, se glisse comme il le peut entre les groupes pour rejoindre son amie harpie Aëla. Cette dernière est en pleine discussion avec Vayne, son voisin revenant et les deux compagnons accueillent avec plaisir le minotaure dans leur cercle. Bientôt, ils sont rejoint par Puzzle, le maître des lieux et vampire de son état qui vient s’enquérir que tout se passe bien.
Partout ailleurs dans la pièce, monstres divers et variés se sont réunis par affinité pour discuter de leurs exploits, programmer les prochaines chasses groupées, s’amuser des réactions de terreur qu’ils ont fait naître durant cette année fructueuse.
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Alors que la fête bat son plein, un grand bruit résonne soudain dans la grande salle. Avant que quiconque ne puisse réagir, l’une des portes des galeries attenantes à la salle de réception s’ouvre brutalement pour laisser apparaître un humain. Ce dernier est harnaché de cuir noir, des bottes jusqu’à son chapeau à plume en passant par son long manteau. Armé jusqu’aux dents et le visage figé dans un rictus malsain, il fixe l’assemblée d’un air moqueur. Un vampire, qui se trouvait juste à côté de lui, tente de se jeter sur l’intrus mais d’un geste rapide, celui-ci lui enfonce un pieu dans le cœur. Dans un parfait silence ébahi, la victime se disloque en cendres sous les regards impuissants de ses camarades.
L’homme secoue négligemment ses gants pour en chasser la poussière, puis se redresse de toute sa hauteur.
— Écoutez-moi, créatures des enfers ! Vous terrorisez les contrées environnantes depuis bien trop longtemps. Ce jour est à marquer d’une pierre blanche. Voici le jour où les rôles s’inversent ! Fuyez, courez, tentez de survivre ! Nous n’aurons aucune pitié pour vous !
La foule reste encore sidérée une demie seconde, jusqu’à ce qu’un gobelin tente de sortir par la porte principale. Mais à peine la porte entrouverte celui-ci reçoit un carreau d’arbalète en pleine tête. Des cris appelant à la mise à mort retentissent alors d’une seconde porte et la panique gagne soudainement l’assemblée. Dans un brouhaha de cris, les monstres s’éparpillent dans diverses directions.
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Puzzle n’hésite pas. Le chasseur a l’air de savoir ce qu’il fait, alors pour sauver sa peau, il se dirige en hâte vers la porte de droite qu’il ouvre précautionneusement. Personne ! Sans plus attendre, Puzzle se glisse dans le couloir aux murs de pierres noires. Ici et là quelques rares torches éclairent vaguement les alentours, permettant à peine d’y voir quelques chose à une dizaine de pas devant. Au mur, lorsqu’il les dépasse, les tableaux de ses ancêtres sembles le regarder d’un air réprobateur alors qu’il s’enfonce un peu plus dans le couloir et l’obscurité.
Sans hésiter, Adripeal se glisse dans le sillage du vampire et le rattrape rapidement. D’autres invités se sont joint à eux et les souffles courts voir les gémissements témoignent de la panique qui flotte alors sur le petit groupe.
Soudainement, des bruits de pas retentissent derrière une porte sur leur droite. Certains s’approchent, curieux, de la porte mais le Vampire et le Minotaure décident de poursuivre leur route sans perdre de temps.
Bien leur en prend. Ils ont à peine fait quelques pas au-delà de la porte que cette dernière sort de ces gonds. Dans le chambranle se tient un chasseur, différent de celui de la grande salle, qui méthodiquement commence à abattre les monstres les plus proches. Une harpie tente de décoller pour fuir à tir d’ailes mais l’étroitesse du couloir ne lui permet pas assez de liberté de mouvement et un carreau d’arbalète vient stopper net sa course. Un petit groupe composé de gobelin, de squelettes et de loup-garou tente de s’interposer et de tuer le chasseur mais ils ne semblent pas faire le poids.
Ignorant les cris d’agonies de leurs compagnons, Puzzle et Adripeal continuent de courir. Le bruit du massacre retentit derrière eux, leur donnant la chair de poule. Alors qu’ils tournent dans un couloir, ils s’arrêtent net, bien campé sur ses deux pieds, un chasseur leur fait face.
— Vous allez quelque part ?, demande-t-il un sourire moqueur au lèvre.
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Alors que Puzzle et Adripeal fuyaient sur la droite, Aëla ouvre prudemment la porte de gauche et se glisse dans le battant entrebâillé. Alors qu’elle se retourne pour observer la pièce, un brusque frisson lui secoue l’échine lorsqu’elle découvre l’endroit.
C’est un carnage ! Un homme grand de deux mètres découpe en morceaux les serviteurs mort-vivants et autres gobelin du manoir. Les murs sont tachés de sangs et le sol est couvert de viscères et autres entrailles. Aëla se fige une seconde hésitant sur la marche à suivre.
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Vayne de son côté tente de sortir par la porte principale malgré le gobelin qui a déjà tenté sa chance. D’autres se joignent à lui. À peine sorti, une pluie de carreau et de pieux les accueille alors. Dans d’horribles piaillements d’agonie, la plupart des membres du groupe s’effondre. Pour Vayne sa condition de revenant vient de lui sauver la vie. Il a perdu un membre, mais a survécu à l’attaque. Néanmoins, l’issue est complètement bloquée de ce côté et le voilà forcé de rebrousser chemin avec quelques autres miraculés.
Battant en retraite à grand pas, ils s’engagent aussitôt vers la porte la plus proche et tombent nez-à-nez avec Aëla encore figée devant le colosse qui fauche les morts-vivant comme les blés. Sortant la Harpie de sa torpeur, le Revenant la pousse à tenter de franchir le monstre. Prenant son courage à deux mains, Aëla décolle et survole le faucheur. Fort heureusement, la pièce lui offre suffisamment d’espace pour passer largement au-dessus. Vayne en revanche y parvient avec plus de difficulté mais il s’en sort, même s’il se retrouve avec une épée plantée dans le torse. Une fois encore, sa condition lui permet de survivre à cette attaque.
Plus loin dans un nouveau couloir obscur, ils reprennent leur souffle, ils ne sont plus que deux. Le silence qui règne dans le couloir et l’obscurité de ce dernier font monter la tension. Soudain, la porte la plus proche se met à s’ébranler et ils font tous deux un bond. Visiblement, quelqu’un cherche à l’enfoncer.
Sans hésiter, Vayne tente de barricader la porte mais avec un bras en moins l’opération est difficile. De son côté, Aëla est restée de nouveau figée. Dans un craquement sonore, la porte explose finalement et un chasseur entre dans le couloir. C’est le moment où Aëla reprend ses esprits. À nouveau elle tente de s’envoler mais le chasseur l’abat d’un carreau. Il se retourne ensuite vers Vayne.
Ce dernier récupère alors l’épée plantée dans son corps et se jette sur le chasseur. Celui-ci se met en garde en souriant.
En deux temps, trois mouvements, le combat est expédié. Le chasseur quitte le corridor sur un dernier regard en arrière. Dans un angle, la harpie est au sol, un carreau dans la gorge, les yeux fixés sur le vide et les ailes immobiles à jamais. Au sol, en un petit tas compact, ne reste que des morceaux du revenant qu’il vient de découper en pièces. Et cette fois, même avec sa capacité à survivre à une amputation, ce dernier n’a pu se relever.
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Dans leur coursive, Puzzle et Adripeal bifurquent brusquement pour éviter le chasseur qui leur fait face. Sa voix résonne alors derrière eux.
— C’est ça ! Courez vers votre ruine.
Les deux compagnons courent comme s’ils avaient la mort aux trousses – ce qui n’est pas si loin de la vérité – lorsqu’ils sentent le sol se dérober sous leurs pieds. Dans un cri d’effroi, ils tombent dans un piège creusé que l’obscurité de la coursive a dérobé à leurs yeux.
Refusant de perdre du temps à tenter de remonter, Puzzle et Adripeal cherchent une issue dans le souterrain. Il s’agit sans doute de celui par lequel les chasseurs sont entrés dans le Manoir. Très vite néanmoins, ils se rendent compte qu’ils pataugent dans un liquide étrange. Ils échangent un regard angoissé tandis qu’une lueur apparaît au sommet du trou. Puis la voix du chasseur retentit à nouveau.
— Si on m’avait dit un jour que je ferais fuir des monstres comme des fillettes, je ne l’aurais jamais cru, s’amuse le chasseur. Mais cette fois, c’est l’heure de brûler !
Prises de paniques, les deux créatures courent à l’aveuglette dans le souterrain lorsqu’une torche tombe du sommet du trou. Dans un rugissement venu de l’enfer, l’huile répandue au sol s’enflamme. Le Vampire et le Minotaure fuient ventre à terre l’enfer leur collant aux fesses. Dans leur dos ils peuvent sentir la chaleur des flammes qui les poursuivent tandis que le rire démoniaque du chasseur s’estompe avec la distance.
Finalement, ils arrivent à une grille. Adripeal réussi à la défoncer avec sa force Herculéenne mais alors qu’il se jette dans la sortie, il entend le cri d’agonie de Puzzle qui vient de se faire rattraper par les flammes. Un léger filet de cendres passe devant le regard d’Adripeal tandis qu’il débouche soulagé dans la forêt entourant le Manoir.
Néanmoins, avant qu’il ne puisse crier victoire, il remarque une troupe de chasseurs en patrouille. Leurs torches éclairent lugubrement les environ de la forêt et du Manoir, se reflétant doucement sur l’eau noire du lac. Dans les frondaisons, depuis le début de l’attaque, les animaux ont fui cette partie de la forêt. Le silence est pesant, presque surnaturel. Seul les quelques cris de joie des chasseurs résonnent ici et là dans la bâtisse et ses alentours tandis qu’ils achèvent les derniers survivants.
Au pied de sa grille, Adripeal observe les alentours. Mais il n’est plus temps de réfléchir. Rendu presque fou par la perte de ses amis et les poils roussis de son dos, Adripeal fonce finalement dans le tas, percutant quelques chasseurs sur sa route. Aussitôt, il reçoit plusieurs carreaux dans le dos, mais sa carrure lui permet de tenir le coup.
Dans un mugissement de rage, il s’enfonce dans la forêt. Tandis qu’il disparaît sous le couvert des arbres, quelques carreaux frôlent encore son dos et ses épaules.
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Recroquevillé au cœur de la forêt à une distance raisonnable du manoir et de sa horde de chasseur, Adripeal reprend son souffle. De ce qu’il a vu et entendu, tous ses amis sont morts. Il est donc le dernier survivant de la horde de monstres réunie au Manoir. Il ne comprend pas comment cela a pu arriver. C’était eux les tueurs. Eux les épouvanteurs. Eux les monstres. Et maintenant il ne reste que lui, apeuré, isolé et seul.
Un craquement retentit soudainement sur sa droite et il redresse la tête, l’oreille aux aguets.
Nouveau craquement. Son cœur s’emballe. Sans chercher plus loin s’il ne s’agit que d’un animal ou d’un de ces maudits chasseurs, il se redresse. Réunissant ses dernières forces, il s’enfuit à nouveau. Le plus discrètement possible.
Il a survécu oui.
Mais pour combien de temps encore ?