Quelque part aux abords de la mystique et ancienne forêt d’Elden Grove.
La journée avait plutôt bien commencée. Les proies étaient nombreuses dans cette forêt. Et l’une d’entre elle, un cerf particulièrement gros avait attiré l’attention de la chasseresse. Avec une telle prise, ses repas seraient assurés pour plusieurs jours. Et elle pourrait en profiter pour refaire une conséquente réserve de cuir. Ainsi que tailler quelques couteaux dans les os de l’animal. À pas de loup, depuis une heure déjà, la jeune chasseresse était sur les traces de son gibier. Plus d’une fois il avait faillit lui échapper.
Mais Aëla avait plus d’une corde à son arc. Elle pratiquait la chasse depuis de nombreuses années maintenant. Et une proie – aussi rusée soit-elle – n’avait aucune chance de lui échapper. S’arrêtant au bord d’un ruisseau, l’Elfe pris le temps d’observer les traces dans la boue : quelques empreintes anciennes ici et là de petit gibier ainsi que les traces récentes de sa proie prouvant qu’elle avait traversé. Franchissant d’un pas souple le cours d’eau, elle observa l’autre rive. Nulles traces de sortie. Sans s’inquiéter outre mesure, elle pris le temps de se désaltérer dans l’eau claire du ruisseau avant de remonter un peu celui-ci. Une trentaine de mètres plus loin, les traces reprirent. La bête était décidément rusée, mais pas assez !
Profitant de la quiétée des lieux Aëla s’accorda une petite pause le temps de se ressourcer au sein de la forêt. Le bruissement du vent dans les feuillages, le glougloutement discret du ruisseau, le plicploc des gouttelettes tombants des frondaisons, les battements d’ailes d’oiseaux dans les branchages… Grâce à ses sens surdéveloppés d’Elfe elle pouvait tout percevoir. Y compris les sons les plus lointains. Comme cet appel à la chasse lancé par un goupil à quelques kilomètres de là. Et visiblement sur les trace d’un repas lui aussi. Ou ce roucoulement d’un couple de perdrix installé bien à l’abri dans son nid. Y compris également les odeurs les plus discrètes. Comme celle de l’humus en formation au pied des arbres. Celles de fruit mûrs et odoriférants sur les branches. Ou encore l’odeur de la mousse et de la terre humide, propre à toutes les forêts…
Décidément, tout ici n’était que paix et calme. Un brame discret un peu plus loin la ramena cependant les deux pieds sur terre. Si elle voulait se coucher le ventre plein, il était temps de se remettre en chasse. Rajustant le carquois dans son dos, elle encocha de nouveau une flèche sur son arc. Puis elle se remit en route, prenant garde à ne pas briser de branches sous ses pas. Aussi bien pour respecter le Pacte Vert du Val Boisé que pour éviter d’avertir sa proie de son approche.
Toujours aux aguets, sur les traces de l’animal, elle s’enfonça un peu plus dans Elden Grove. Le silence pesant et la légère obscurité qui descendait des immenses et vénérables arbres qui l’entouraient ne lui faisaient aucunement peur. Au contraire. Elle se sentait sereine dans cet endroit sauvage et indompté. Seule avec la nature et ses pensées, concentrée sur une chasse qui allait immanquable finir par sa victoire, Aëla se laissa entraîner par l’animal. Ce dernier se défendait bien, après tout. Il avait donc gagné le droit de choisir l’heure et le lieu de sa mort.
Ainsi, durant de longues heures, proie et chasseresse se défièrent dans le splendide écrin de verdure qu’était Elden Grove. Chaque approche de l’archère était mise à mal par sa proie. Rusée et retorse, elle parvenait toujours à s’enfuir au dernier moment, entraînant Aëla au cœur même de la forêt. Chaque tentative de fuite de la proie était à son tour contrée par l’Elfe qui, comme une ombre, parvenait toujours à retrouver la trace de l’animal. Et à réduire la distance qui les séparaient. Loin d’agacer la chasseresse, cette danse mortelle, ne faisait que stimuler ses sens, titiller son instinct sauvage et bouillir le sang dans ses veines. Décidément, cette retraite en Val Boisé avait été une très bonne idée. Elle replongeait ainsi au plus profond de ses racines d’Elfe des Bois.
Avançant avec prudence vers la clairière qu’elle apercevait juste devant elle, la jeune archère se laissa couler souplement entre deux racines. Dans la manœuvre, elle se retrouva à plat ventre sur le sol humide. Elle devait sans nul doute avoir le visage couvert de boue et les vêtements maculé de taches installée dans une telle position. Mais elle s’en moquait bien. Là, juste dans la trouée devant elle, le cerf paissait tranquillement. Le léger vent venant de face lui permettait de masquer son odeur. Son approche, des plus précise et silencieuse, n’avait pas alerté la proie. La distance était idéale pour un tir réussi. Et l’ouverture s’avérait suffisante pour qu’aucun obstacle ne vienne entraver son tir et arrêter sa flèche. Parfait !
“Cette fois ci, songea Aëla, c’est la bonne.”
Lentement, avec précaution et concentration l’Elfe positionna son arc. Sa position, couchée sur le ventre, n’était pas des plus simple. Mais ce n’était pas la première fois qu’elle se livrait à ce genre d’acrobaties. Il y avait donc peu de risques qu’elle loupe son tir. Il était désormais temps de mettre fin à cette partie de chasse, aussi stimulante qu’elle ait pu être. Bloquant son souffle, l’archère banda son arc, visant avec application le coeur de sa proie. Cette dernière, toujours tête baissée à brouter n’avait visiblement pas senti le danger. Au moment même où les doigts d’Aëla lâchèrent la corde, un bruyant craquement retentit quelques part derriere elle. En un millième de seconde l’animal avait fait un bond, évitant de justesse la flèche – qui se serait avérée mortelle s’il n’avait pas bougé – et avait détalé sans demander son reste.
Poussant un profond soupir de frustration, la jeune Elfe se redressa et inspecta les alentours, se demandant d’où avait pu provenir ce bruit incongru. Ce n’était certainement pas elle qui avait brisé cette branche et fait fuir sa proie. Elle ne devait donc pas être aussi seule qu’elle le pensait. Un nouveau craquement se fit entendre sur sa droite. Prudente, la chasseresse tendit l’oreille et orienta sa flèche en direction du bruit. Encore un craquement puis soudain un Bosmer apparu dans son champ de vision, écartant les branches sur son passage dans un fracas que seul un humain pouvait estimer discret. À sa tenue, Aëla devina sans mal qu’il s’agissait d’un messager. À pas lourds et maladroits dans cet enchevêtrement de verdure rendu humide par les pluies incessantes, ce dernier s’approcha d’elle tandis qu’elle le dardait d’un regard noir.
— Vous avez fait fuir ma proie, Messager, lança la chasseresse d’un ton contrarié sans prendre la peine de le cacher.
Le Messager brisa une nouvelle branche qui lui barrait le passage pour s’approcher davantage de son interlocutrice. Aëla se crispa encore plus, rangea son arc dans son dos – afin d’éviter de lui décocher une flèche accidentelle sous le coup de la colère – et lui lança un nouveau regard noir.
— C’est que je suis à votre recherche depuis longtemps Madame, commença d’une voix forte le Messager sans se soucier le moins du monde des reproches dans le ton de l’Elfe ou de ses yeux qui tentaient de le tuer sur place. N’avez-vous point de routes en Val-boisé ? Voilà des lieues que je parcours cette forêt interminable. Par chance, j’ai croisé un de vos compatriotes qui m’a indiqué la direction jusqu’à vous. C’est un miracle d’avoir pu vous trouver, souffla le Messager visiblement soulagé d’arriver au bout de son périple.
“Un de vos compatriotes”, songea Aëla. Quelle remarque intéressante venant justement de la part d’un Bosmer.
— Et bien … vous m’avez trouvée, Messager.
“Quitte à avoir fait fuir mon repas et interrompue une partie de chasse des plus stimulantes, donnez-vous la peine de délivrer votre message. Il est clair que nous n’avons ni vous, ni moi plus de temps à perdre dans cette affaire.” Songea fortement Aëla avant de se raviser.
— Voici, pour ce qui est de mon identité, déclara-t-elle simplement, non sans une certaine froideur.
Joignant le geste à la parole, l’archère lui montra son anneau, signe distinctif qui avait dû être indiqué pour la remise du courrier. Le Messager l’observa rapidement et acquiesça. Il lui remit le message directement, ne cherchant pas à faire durer le moment plus longtemps, au grand soulagement d’Aëla.
— Tout est en règle ! S’enthousiasma le Messager d’une voix forte qui fit décoller quelques oiseaux apeurés des frondaisons mais il ne fit pas un geste pour partir.
Aëla soutint son regard un instant, s’amusant quelque peu de la situation. Après tout, il venait de fiche en l’air une journée de chasse, elle pouvait bien s’amuser un peu à ses dépends non ? Finalement, l’Elfe prit la parole.
— J’imagine qu’il faut que je vous paye.
— Oui, c’est l’usage.
Pour tout réponse l’archère lui lança une bourse et lui tourna aussitôt le dos.
Il n’était pas nécessaire d’être un éclaireur aguerri pour comprendre que l’homme n’avait de Bosmer que des origines lointaines. Une seule question restait alors. Pourquoi un messager, n’ayant d’un Bosmer que l’apparence – et avec un accent nordique certain – aurait-il prit la peine de la chercher ? L’énervement qu’elle avait eu du mal à contenir jusqu’ici disparu finalement au profit d’une curiosité naissante envers ce délicat message qui avait parcouru tant de lieues pour lui arriver entre les mains. Alors qu’au loin le Messager continuait de perturber la tranquillité naturelle des lieux – en évoluant avec difficulté dans la forêt – Aëla s’assit sur une souche, toujours dans ses pensées.
Voilà qui était intéressant. Il n’y avait là que peu de raison de recevoir un courrier en main propre, à l’issue d’un voyage aussi long mené par un homme grassement payé pour cela : des ennuis.