La Discorde

ou l’Art d’exprimer son avis envers et contre tout

Le feu. Partout. Violet. Intense. Ensuite. La douleur. Intense elle aussi. Brûlant de l’intérieur. Puis. Un claquement. Loin. Sourd. Répétitif.

Ce son me semblait bien trop réel. J’ouvris un oeil curieux et tendis l’oreille. Des pas rapides résonnaient dans le couloir de pierres de l’Académie, venant troubler ma séance de méditation matinale. Il fallait en réalité bien peu de chose pour piquer ma curiosité et me sortir de mon état de transe. Mais l’Académie des Mages était tout sauf un lieu d’empressement, et il était particulièrement rare d’entendre dans les couloirs la moindre agitation, qui plus est, au sein du dortoir. Je tendis davantage l’oreille et pus entendre le rythme des pas résonner de plus en plus fort. Définitivement, il me fallait reconnaître dans cette démarche hâtive un air assez familier, qui de toute évidence était de mauvais augur. 

Pourtant prévenue par cette démarche empressée de l’arrivée imminente de cet invité bien matinal, je ne pus m’empêcher de sursauter lorsque l’on se mit à tambouriner à la porte. 

— Laell ! Une main frappa de nouveau la porte énergétiquement. Laell, répéta la voix à l’extérieur de la chambre. Sortez immédiatement.

Je reconnus sans difficulté la voix de la mère supérieure Edwne. Alors que j’ouvrais doucement la porte, je croisais son regard, alliant un juste équilibre entre haine et dégoût. Je m’abstiens donc de toute question et décida de la suivre sans un mot. Dans le couloir, les apprenties me regardaient, troublées elles-aussi par cette interruption matinale. 

— Retournez dans vos chambres jeunes filles ! Les sermonna la mère supérieure, d’un ton brusque et fort.

Enfin arrivée devant le bureau du Maître de l’Académie, je prenais peu à peu conscience de la gravité de la situation. Définitivement, il devait avoir été mis au courant de mes agissements, et il allait maintenant falloir en assumer les conséquences.

Edwne ouvrit la porte, et m’attrapa par le bras pour me placer au centre de la pièce. Son regard était toujours aussi noir, mais je me préoccupais bien davantage de l’attitude du Maître qui n’avait pas encore posé les yeux sur moi. Il semblait encore dans ses pensées. Le siège dans lequel il était assis était ornementé de nombreuses gravures, ce qui rendait l’ambiance de son bureau encore plus solennelle. Je reconnus immédiatement une pile de livres qui m’étaient familiers, posés sur son bureau bien en évidence. Au-dessus de ces livres anciens trônait une gemme spirituelle noire. Edwne sortit de la pièce et quelques minutes passèrent avant que le Maître ne se décide à sortir du silence.

— S’agit-il de vos biens ? Demanda sobrement le Maître en portant son regard sur les fameux livres.

— Oui, monsieur, répondis-je sobrement.

— Ainsi, vous vous intéressez à la Nécromancie ?

— J’ai … étudié certains livres, monsieur. Je me raclai la gorge pour gommer un léger tremblement dans ma voix. J’aime étudier toutes les formes de magie, repris-je.

— Je vous sais très curieuse, Laell, mais lorsqu’elle devient inappropriée la curiosité n’est en rien une qualité. 

Un silence se fit, puis il reprit :

— Allons droit au but Laell, je n’insulterai ni mon intellecte ni le votre en tournant autour de la question. Tu sais pertinemment que l’art de la Nécromancie est étudié au sein de l’Académie dans un cadre strict et encadré et que l’étude des arts sombres de la Nécromancie en sont exclus ? Alors venons en au fait, pourquoi avoir fait l’acquisition de ces livres ? Répondez avec prudence, ajouta-t-il.

— Parce son étude au sein de l’Académie en est justement très limitée, monsieur.

— Et il vous est apparu que vous deviez individuellement remédier à cela ?

Pour toute réponse, je gardai le silence.

— Nous avons à coeur au sein de l’école, d’expliquer à nos apprentis les raisons de la censure de la Nécromancie. Nous pensons en effet, qu’une personne avertie est plus à même de cerner les raisons de son immoralité et de son illégalité. Pouvez-vous rappeler à votre mémoire l’adage qui vous a été appris à votre entrée dans l’Académie ?

— “Si nobles soient ses motivations, le mage qui recourt à la nécromancie finit toujours par faire le mal”, énoncais-je machinalement en guise de réponse. J’inspirais profondément, pour reprendre avec conviction – et sans doute trop d’audace. Je pense fondamentalement que la Nécromancie peut être pratiquée avec éthique et moralité à des fins précises. Ce sont mes convictions personnelles, monsieur.

— Il existe de nombreux débats autour de la Nécromancie, reprit froidement le Maître. Et personne ne souhaite connaître l’avis d’une apprentie sur le sujet.

— Monsieur, si vous me laissiez étudier cet art, je pourrais vous être bien plus utile. Je pense, que la connaissance de la Magie noire est fondamentale, ne serait-ce que pour nous apprendre à la contrer.

— Personne ne souhaite connaître l’avis d’une apprentie sur le sujet ! Reprit plus fermement le Maître en haussant le ton. Vous pensez être plus à même du haut de vos 17 ans à décider de ce qui est juste en la matière ? Que la résurrection des morts est un sujet à débattre entre apprentie dans le couloir des dortoirs ? Que vous pouvez remettre en cause l’éthique concernant la capture des âmes au réfectoire devant un bon ragoût ?

— Non, monsieur.

— Mais, vous n’êtes pas d’accord ?

— Avec tout mon respect, je ne suis pas d’accord. Notre vision de la Nécromancie est tellement limitée par sa nature taboue que nous ignorons tout de ses applications, et de ses… potentiels bienfaits.

Ma gorge se noua à nouveau. J’ignorais si mon discours allait convaincre le Maître, mais je n’aurais pas de seconde chance, il me fallait donc peser mes mots. 

— Les Arts Sombres sont aussi pratiqués par ceux qui sont avides de pouvoirs. Et chère enfant dans ce domaine, votre cas me trouble grandement. 

Le Maître repoussa la gemme noire pour se saisir un à un des livres devant lui et commença à les énumérer.

— De l’art de la Magie Noire, Les Sources d’Énergie Mystique, La Vie Dans la Mort. Et vos notes sur le sujet sont plus édifiantes encore : “Est-il possible d’utiliser les âmes contenues dans les gemmes pour autre chose que l’alimentation des sorts et enchantements ? Pourrait-on extraire une âme et la manipuler hors d’une gemme ?” 

Le Maître reposa avec violence les livres. J’aurais presque pu entrevoir de la lumière en vous, si votre motivation avait été la résurrection de vos défunts parents. Vous n’auriez pas été la première, car nombre d’apprentis à l’Académie ont caché pendant longtemps de tels dessins, mais ce n’est pas votre cas n’est-ce pas ?

— Non, monsieur.

— Je vous ai déjà conseillé à maintes reprises Laell, de tempérer ce feu qui brûle en vous. Vous avez de grandes capacités, mais pour des raisons qui m’échappent au fil des ans, vous décidez encore et toujours de nous décevoir. 

— Je…

— Vous êtes irresponsable et imprudente ! Me coupa le Maître. Je prendrais une décision et vous tiendrais informée de votre sort.

— Oui, monsieur.

Alors que je tournais les talons pour sortir, les mots du Maître firent écho dans mon esprit. Il m’apparaissait de manière évidente que je ne souhaitais plus étouffer ce fameux feu qui brûlait en moi. Avec toute la maturité et l’entêtement qui me caractérisait, je décidai finalement d’enfoncer mon cas, définitivement.

— Nous ignorons tout de la Nécromancie car nos aînés en ont peur. Seul les sots et les lâches refusent de saisir le pouvoir d’où qu’il vienne. Comment vaincrons-nous les daedras hostiles ou les liches si l’accès aux pratiques sombres nous est refusé ? Je me dois d’être honnête, et cette honnêteté me pousse à vous dire que je continuerais l’étude des arts sombres car la magie noire ne m’effraie pas, et sa censure est une absurdité dont votre intellecte devrait être conscient.

— Ainsi, tu facilites la tâche à l’Académie.

— Oui, monsieur. Considérez moi comme démissionnaire de mon noviciat.

Et c’est ainsi que ma vie prit un virage soudain, alors qu’à l’âge de 17 ans, je me retrouvais exclu du lieu qui avait été mon foyer pendant 8 ans.

Avec la participation de

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