Il n’aura pas fallu longtemps au chef pour nous trouver une nouvelle mission. Avec Bobby (c’est le petit nom de S37 !), le chef nous envoie faire le nettoyage d’une station de biochimie. Il nous a rapidement expliqué qu’il reste des contaminants viraux résiduels dans le complexe, mais que la compagnie ne peut pas se permettre de nous payer des combinaisons de protection. Il nous faut donc faire vite et bien (mais surtout vite !).
Y a plus qu’à donc !
Finalement, c’est pas plus mal qu’on soit deux, on ira plus vite. Ou alors il y aura deux morts…
Localisation : Caduceus – Installation expérimentale de biochimie. Localisation tenue secrète.
Bon, pour commencer, ne vous emballez pas. Bobby est avec moi et je l’appelle par son nom, d’accord, mais il reste le stagiaire et moi le sous-patron.
Comment ça y a pas de grade de sous-patron ?
Je m’en tamponne l’oreille avec une babouche. Dans les fait y a le patron, aussi appellé chef – ou l’emmerdeur quand je m’emballe – moi et le gamin. Et comme de nous deux je suis celui avec le plus d’expérience, bah je suis le sous-patron. Ou le sous-chef. Ou le sous-emmerd… Ah non, ça, ça marche pas.
Bref, en tout cas Bobby c’est Junior pour le moment. Ou Gamin. Qu’importe. Mais pour l’instant, il lui faut encore faire ses preuves avant de devenir un nettoyeur professionnel comme moi.
En attendant, c’est pas le tout, mais y’a du taf ici aussi. C’est un sacré bordel cette station. Y’a des taches de sang rouge et verte un peu partout. Oui des taches vertes. Me demandez pas de qui elles viennent, j’en sais que dalle.
Y’a aussi une quantité phénoménale de caisses de stockage et médicales, de contenant biochimiques, un peu partout, ainsi que des déchets médicaux et des douilles. Sans compter les morceaux de corps un peu partout bien sûr. Ça va pas être une sinécure ce nettoyage. Mais Bob et Bobby sont au taquet.
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Alors.
Constatation n°1 : vu la taille des traces de pas, y a pas eu que des humains ici.
Constatation n°2 : c’est impossible de nettoyer du sang vert puis du rouge (ou inversement) sans nettoyer la serpillère entre les deux. Sinon ça fait un mélange collant inlavable.
Constatation n°3 : le sang vert tache vachement plus que le rouge, la serpillère finit dans un état lamentable en 2 secondes.
Constatation n°4 : Bobby est un digne nettoyeur. Il vient à peine de commencer, le voilà déjà qui renverse mon seau. Bien Gamin, tu marches sur mes traces !
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Je sais pas ce qui s’est passé ici, mais les gars ont vraiment tiré comme des sagouins. N’importe comment, n’importe où. Il y a une quantité de douilles phénoménale au sol. Et des trous dans les murs sur chaque mètre carré. Dès qu’on trouve le fusil laser il faudra s’occuper de reboucher tout ça.
D’ailleurs, j’ai toujours pas compris comment marche ce truc.
Si tu tires sur un trou ça le rebouche. Mais attention, si tu tires trop longtemps sur le trou, ça crame le mur et ça fait un autre trou à côté. MAIS. Si tu retires sur le nouveau trou que tu viens de faire en tirant trop longtemps sur le trou précédent, ça va quand même reboucher le nouveau trou aussi.
Allez comprendre la logique…
‘fin bref, je me poserais à nouveau la question quand j’aurais l’outil adéquat. Pour le moment, on peut rien faire pour ces trous, autant s’occuper du reste.
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Je me demande combien de mètre d’intestin comporte un corps. En tout cas, ici, ils sont découpés en morceaux de 10 cm de long maxi. Pas plus. Ce qui ne nous simplifie pas la tâche.
“Ça en fait de la saucisse, ça !” “Tiens une y a une jambe ici”. Je sais pas si c’est le métier qui rentre, mais je trouve que Bobby utilise les mêmes expressions que moi… En tout cas, il semble se faire les mêmes réflexions un peu hors de propos que moi. Mais bon, je vais pas l’engueuler pour ça. Je sais ce que c’est que d’évacuer la pression par des commentaires sarcastiques ou décalés. Parfois c’est le seul moyen de compartimenter pour pas finir dingue.
Et tant qu’à faire j’aimerais bien qu’il finisse pas fou au bout de 2 jours de boulot. Ça ferait désordre sur mon CV – et le sien !
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Première salle clean.
“Rapidité” et “Efficacité” qu’on devrait nous appeler au lieu de Bob et Bobby.
Une dernière vérification et on passe à la suite.
Ah bah non, c’est pas clean en fait. Il reste une magnifique gerbe de sang verte au plafond.
Finalement c’est plutôt “Echec” et “Approximation” qu’on devrait s’appeler !
Sauf que sans élévateur, je vois pas comment réussir à atteindre cette tâche. J’espère qu’on va en trouver un plus loin, je refuse d’avoir à monter sur les épaules de Junior pour nettoyer ça.
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Bobby vient de trouver une tablette de rapport. Il s’agit des ordres donnés au Caporal John Razor. Celui-ci avait pour objectif de rapporter l’antidote extraterrestre et de botter le cul de l’extraterrestre.
D’après ce qu’on peut voir, il semble qu’aucun des objectifs n’a été atteint…
Par contre, l’ordre de mission fait état d’un “essaim” qui serait arrivé dans le secteur. J’ai pas envie de tomber dessus, mais d’un autre côté, ça explique ce fameux sang vert. En tout cas, à part leur sang, aucune trace de cet essaim. Il doit être parti.
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Dans une seconde salle, nous sommes tombés sur une sorte de table d’autopsie. Enfin, si on part du principe que la personne autopsiée a besoin d’être attachée avant d’être découpée… D’ailleurs, le cadavre ne ressemble pas complètement à un humain. Il semble différent. Pas tout à fait extraterrestre, mais plus vraiment humain non plus. C’est un peu comme un… un… un j’sais pas quoi en fait. Je trouve pas de mot pour décrire l’état de cet humain, plus tout à fait humain…
Bobby me file la frousse de ma vie d’ailleurs lorsqu’il m’annonce qu’il a l’impression que le cadavre est toujours en vie et pulse encore… J’essaye d’ignorer ça alors que je le récupère morceau par morceau pour aller l’incinérer. Ce qui n’est pas si simple puisque ses jambes sont menottées sur la table et que sa boîte crânienne se décompose dès qu’on le touche.
C’est le Gamin qui parvient finalement à récupérer les derniers morceaux attachés à la table. Selon ses dires ce n’est “pas très propre” mais bon, il faut bien tout nettoyer. Et puis le gars est mort, il sent plus rien de toute façon.
Enfin…
Je crois qu’il est mort…
Je le suppose en tout cas, puisque son corps se trouve en plusieurs parties en train d’incinérer. Pourtant je sais pas, j’ai comme l’impression qu’il vit encore d’une certaine manière…
Brrr, je sais pas à quoi je pense, ni vers quoi mes pensées me mènent, mais mieux vaut que je m’arrête tout de suite. Sinon je vais finir chez les dingues. Et le gosse n’aura plus qu’à prendre ma combinaison et ma serpillère pour me piquer la place.
Et ça, pas question !
Nous trouvons dans la pièce un second rapport, écrit par un pharmacologue qui indique que le virus développé ici “transforme les tissus vivants et morts en éponge qui se nourrit des cellules de l’hôte jusqu’à le tuer” mais que même mort il semble “attirer d’autres organismes infectés”. Le rapport précise qu’ils espèrent avoir renforcé suffisamment les protocoles de sécurité pour “éviter une répétition de ce qui est arrivé au docteur Fiddles”.
Quelque chose me dit que ce qui reste du bon docteur Fiddles était ce qui se trouvait sur cette table d’autopsie. Pauvre gars…
En tout cas j’espère que cet espèce d’éponge ne survit pas au feu. Parce que visiblement, les protocoles de sécurité n’ont pas suffi…
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Bon, casser un flacon de produit extraterrestre viral semble sans conséquence. En tout cas sur le nettoyage, vu que le liquide se nettoie assez facilement. Pour ce qui est de la santé, on verra bien si un troisième bras me pousse.
Ou si je finis en éponge !
La bonne nouvelle, c’est que je viens de trouver l’élévateur. On va pouvoir s’occuper des plafonds dès qu’on aura fini de nettoyer ces deux cul-de-sac littéralement recouverts de sang sur l’ensemble des murs.
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Bobby vient de découvrir le principal souci lorsque l’on a des corps coupés en deux. Et oui, ils sont trop grands pour rentrer dans la poubelle, il faut donc les apporter à la main jusqu’à l’incinérateur. Le tout sans taper un mur !
Vraiment, dans cette station il n’y a pas de demi-mesure. Soit les corps sont simplement coupés en deux, et trop grands pour les poubelles, soit ils sont en milles morceaux et ça prend une éternité à tout nettoyer. Sans parler des traditionnels morceaux de cadavre offerts par l’équipement bien sûr. Ou de l’élévateur qui déconne lorsqu’on l’active. On change pas une équipe qui gagne.
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Nous attaquons à présent le dernier secteur de la station. Il s’agit plus d’une salle de stockage que d’une pièce de labo, si j’en crois le sol, mais ici aussi il y a eu un bain de sang. En tout cas, c’est ce que suggèrent les tripes de ce cadavre éparpillé dans toute la pièce et jusque derrière les caisses de matériel.
Pardon, ce n’était pas la salle de stockage, mais visiblement la salle de cantine si j’en crois la quantité de canettes et de paquets de chips que je trouve ici. Ça faisait longtemps que je n’avais pas trouvé la cachette secrète à bouffe des scientifiques fous.
Si un jour je pars à la retraite avec toute ma tête, faudra que j’écrive un livre sur “les objets les plus insolites trouvés dans des stations scientifiques hyper secrètes… le n°5 va vous choquer.” Je suis sûr que ça fera fureur sur l’holonet.
Ou alors je devrais faire des vidéos. Ça ferait encore plus fureur…
Mouais, non en fait. Le sang et les cadavres en image à très haute définition, 3D et réalité virtuelle, ça va m’attirer des ennuis avec les autorités je pense. Autant rester sur le format livre, c’est moins visuel, certes, mais moins risqué aussi.
Ceci dit, je sais pas si la société Viscera Cleanup Detail me laisserait publier le moindre livre non plus. Déjà, que je ne suis pas sûr de ce qui se passera s’ils venaient à découvrir ce journal…
D’toute façon, pour le moment la question ne se pose pas. Tant que je suis leur employé, faut pas que je publie la moindre chose qui pourrait me mettre en porte-à-faux avec eux – z’avez vu, encore un mot savant !
Et, note pour moi-même, avant de publier ce livre, faudra :
1) que je m’assure d’être complètement non identifiable en tant qu’auteur,
2) que je sois hors de portée à l’autre bout de la galaxie – voir dans une autre galaxie, comme ce fameux Capitaine Flame,
3) que je dise au Gamin de répondre qu’il ne savait absolument rien de ce projet si on lui demande – faudrait pas qu’il paye pour moi après tout, il est plutôt chouette ce gosse !
4) que je sois pas devenu une éponge d’ici là…
Bref, c’est pas l’tout de rêver de ma reconversion en écrivain à succès, mais si je fini mal le taf ici, je vais me faire virer. Et j’aurais plus grand chose à raconter. Je vais donc cesser de rêver immédiatement et retourner à mes canettes et mes paquets de chips…
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Depuis que Bobby est parti de l’autre côté de la station vaquer à ses occupations et reboucher les trous dans les murs, je me rends compte que l’ambiance sonore ici est pesante. Régulièrement j’entend une sorte de son bas grondant comme… comme je sais pas quoi en fait. Ça pourrait être un bruit mécanique comme les moteurs de la station, ou un bruit biologique comme une créature quelconque. Ça grésille un peu, ça crépite aussi. Un peu comme un essaim d’abeille – ou d’extraterrestre – coincé dans un mur, Je ne sais pas trop. Mais c’est très perturbant et un poil angoissant. J’espère que Junior panique pas trop tout seul à l’autre bout de la station.
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Voilà, c’est maintenant mon tour de de faire joujou avec le laser pour reboucher les trous dans ce secteur. Je sais vraiment pas comment les gens se sont débrouillés mais ils visent comme des glands et surtout le plafond.
Bobby vient de faire une réflexion, ma foi, intéressante.
Oui encore ! Visiblement, nettoyer la tripaille ça le fait cogiter, qu’est-ce que j’y peux !
Bref, il disait donc, que, possiblement, si il y a tant de traces de sang (vertes surtout !) et de traces d’impact au plafond, c’est peut-être parce que la créature… l’essaim… l’éponge – bref, la chose qui a attaqué tout le monde ! – se déplaçait au plafond. Et peut-être pas parce que les gens visent mal…
Il est fûté ce gosse. Il ira loin, j’vous l’dit.
D’ailleurs, dans la foulée de la première, il vient d’avoir une autre réflexion – vraiment, ça semble le faire cogiter à plein régime ce boulot.
Nous avons constaté tout à l’heure qu’un fournisseur de matériel, en plus d’offrir de quoi approvisionner les kits médicaux, offrait aussi un coupe pizza. Sur le coup nous n’avions pas vraiment compris pourquoi. Mais à la réflexion, Bobby vient de réaliser que le coupe pizza aurait pu servir à libérer les membres attachés du cadavre…
Mais siiii vous savez, celui sur la table d’autopsie.
En tout cas, ça aurait pu servir à le libérer de manière plus “propre”.
Après, en tirant fortement, ça a fonctionné aussi.
C’était bien plus sale, mais ça a fonctionné.
Bref…
On y pensera la prochaine fois qu’on tombe sur un cadavre enchaîné.
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Une fois tous les kits médicaux approvisionnés, les caisses stockées là où il faut, les déchets médicaux dans la zone d’évacuation et les barils radioactifs à leur juste place, on aura fini.
D’ailleurs, faudra un jour m’expliquer qui s’amuse à déplacer les caisses de stockage et autres barils hautement radioactifs avant notre venue pour les laisser en vrac au milieu du passage. Est-ce que ce sont les scientifiques ? Si vraiment ils ont que ça à faire, je comprend mieux pourquoi ça finit toujours en mare de sang leur boulot. Est-ce que ce sont des organismes extraterrestres ? Et dans ce cas, comment un essaim pourrait déplacer des barils ? Est-ce que ce sont des fantômes ? Est-ce que ce sont des êtres célestes et invisibles qui s’amusent devant la vacuité de notre existence – pardon, je déraille. Qui ? Comment ? Pourquoi ?
Tellement de questions qui seront à jamais sans réponse…
Bref, sur ces questions, nous quittons donc les lieux satisfaits de notre boulot.
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Et satisfait, on peut l’être. D’après le patron nous avons nettoyé la station à 101 % . Ce qui fait de nous les employés du mois
Bob et Bobby, l’équipe gagnante !!!
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PS : faudrait quand même pas que Bobby fasse du trop bon boulot et m’passe sous l’ nez. Va falloir que je le surveille. J’suis sûr que c’est lui qui bouge les caisses en douce pour essayer de faire en sorte que je ne finisse pas la mission correctement…