Déboires Familiaux, Volume 1

En ce matin du 7 de Vifazur, je profitais de la quiétude du manoir d’Epervine du haut de la tour ouest. De cette hauteur, il était particulièrement agréable de contempler les terres alentours, d’autant que la vue y était imprenable pour observer le lac en contrebas qui baignait dans les couleurs chaleureuses de ce début d’automne. Certes, il n’était pas dans mes habitudes de rester à la maison à ne rien faire mais mes précédentes missions, plus dangereuses les unes que les autres, m’avaient enlevé à ma famille pendant de longs mois. 

Sous la pression de Rayya, qui tentait de m’inculquer les bases de l’instinct maternel, je fus assignée à résidence pour une durée indéterminée afin de m’occuper des enfants qui, semblait-il, nécessitaient mon attention. Mon amie d’enfance était venue de loin pour m’aider après un appel au secours qu’elle pensait être de nature guerrier. Il était clair qu’elle m’en voulait encore de l’avoir dupée, mais son séjour en Bordeciel devait cependant lui plaire puisqu’elle n’en était pas repartie depuis. C’est cependant d’un air très sérieux qu’elle me confia qu’il était temps de cadrer mes “ »adorables pestes“. “Un jour, elles me connaîtront plus que toi“, avait-elle ajouté. Ces mots résonnaient encore dans mon esprit.

Voilà près d’un an que Lucia et Dorthe avaient croisé ma route et que je les avait accueillies chez moi. Il semblait que ces deux jeunes filles voyaient en moi une figure maternelle de premier choix et d’un commun accord elles avaient rapidement pris le parti de me désigner comme leur mère. Un rôle qu’il m’était dur d’incarner tant mon enfance avait brillé par l’absence complète d’un modèle familial stable et durable. Cependant, les lourdes remontrances de Rayya quant à mes absences répétées et mon laxisme certains dans l’éducation des filles, m’avait amené à reconsidérer l’année passée. Il était évident qu’il me restait du travail à accomplir mais il était temps pour moi d’être une meilleure “figure maternelle”.

Quelques jurons en provenance du jardin me sortirent de mes pensées. Depuis la tour, je pouvais voir en contrebas Lucia qui retournait les pommes de terre dans le potager. Suite à différentes péripéties qui l’avait conduit loin du manoir à la tombée de la nuit, il m’avait fallu la punir, au risque de me faire moi-même réprimander par Rayya. Lucia détestait plus que tout les corvées extérieures, c’est donc à la corvée de pommes de terre qu’elle avait été affectée. Comme il m’était plus ou moins défendu de cultiver des végétaux du fait du Pacte Vert, et que je tentais tant bien que mal de le respecter en Bordeciel, la punition me semblait tout à fait adaptée. Et d’autant plus utile. 

— Terminé ! Lança Lucia, particulièrement fière d’elle en me regardant.

— Ne t’avais-je pas demandé d’en éplucher pour le repas ? Lui demandais-je.

Lucia me regarda avec un air de défi. La jeune fille avait déjà tenté de mentionner par le passé Le Pacte Vert pour esquiver une punition. Elle avait appris à ses dépends que ce n’était pas la meilleure des idées.

— Jeune fille, tu es déjà punie pour le reste de la semaine. Je prendrais soin de peser mes mots à ta place. 

Pour toute réponse, Lucia se dirigea vers la cuisine.

Orpheline, Lucia avait longtemps dû se débrouiller par elle-même. Je lui avais proposé de venir vivre avec moi quelques mois après mon arrivée à Blancherive. Un hiver rude se profilait et je ne pouvais imaginer laisser cette jeune fille dormir à même le sol, dehors. À l’époque il n’avait pas vraiment été question d’adoption, j’avais agis spontanément en proposant un toit à Lucia. Elle avait immédiatement accepté y voyant la possibilité de mener une vie plus confortable et la sécurité d’un foyer.

Je vivais à l’époque à Douce Brise, une petite maison cosy à l’entrée de Blancherive dans laquelle j’avais fait aménager une chambre confortable au rez-de-chaussé. À l’époque, je ne savais pas ce que le futur me réservait ni combien de temps je resterais, mais j’espérais pouvoir aider cette enfant autant que je le pouvais. J’officiais alors pour les intérêts du Jarl dans la châtellerie de Blancherive. J’y menais une vie plutôt stable qui nous donnait l’occasion de passer beaucoup de temps ensemble. Lucia s’était rapidement prise d’affection pour moi, et je dois avouer qu’elle éveilla en moi des sentiments oubliés. Finalement, ce qui ne devait être qu’une aide utilitaire devint une raison de rester plus longtemps.

Mes services rendus finirent par porter leurs fruits et l’on me confia finalement le statut de thane. C’est ainsi que Lydia fut mise à mon service en qualité de huscarl. Malgré ses grandes compétences en tant que guerrière, elle me fut d’une grande utilité pour garder Lucia lorsque des missions m’obligeaient à m’éloigner quelques temps de la ville. J’avais par le passé demandé l’aide d’Elrindir à de nombreuses reprises. Ce compatriote Bosmer, gérant de l’échoppe juste en face de la maison, m’avait rendu de nombreux services mais il me semblait à l’époque qu’il attendait plus de moi qu’une simple amitié en retour. La présence de Lydia fut donc un soulagement.

Lucia semblait heureuse mais mon inquiétude grandissait de la voir rôder aux quatres-coins de Blancherive, passant le plus clair de son temps non pas avec les autres enfants à jouer mais à méditer devant l’autel de Talos. Heimskr y délivrait à longueur de journée des sermons et cela ne m’inspirait pas confiance, d’autant que le culte de Talos avait été interdit par le Traité de l’Or Blanc. De plus Lucia volait régulièrement les passants en ramenant divers objets à la maison ce qui ne fit qu’accroître mes craintes. 

Malgré mon nouveau statut, nous n’eûmes pas la possibilité de changer de résidence. Il me semblait que la ville et ce quartier plus modeste où elle avait longtemps dormi dehors ne faisait que lui rappeler de mauvais souvenirs. Je sentais qu’il était temps de prendre une décision qui changerait nos vies à toutes les deux. Finalement l’élément déclencheur fut la perte de Lydia qui tomba au combat lors d’une mission difficile. Lucia s’était particulièrement attachée à elle et ce moment fut douloureux pour nous deux. 

La décision était ainsi prise. Nous fîmes route vers Epervine où je demandais audience à l’intendant du Jarl pour réclamer ce qui me revenait de droit par héritage : le Manoir du Lac. Ce changement de décors fut une vraie révélation pour Lucia qui semblait s’épanouir dans cet environnement calme et boisé. 

Depuis la jeune fille avait bien changée. Abandonnée par son oncle et sa tante à la mort de sa mère, cela avait pris du temps d’installer un rapport de confiance entre nous. Mes premières longues absences m’avaient valu des semaines de boudages intensifs. Mais à ce jour Lucia semblait être une jeune fille tout à fait épanouie et heureuse, prête à faire des bêtises comme le ferait tout enfant de son âge. Et plus important encore, elle avait retrouvé une part d’insouciance que sa vie dans la rue lui avait volé. 

Dorthe quant à elle était de corvée de ménage. Je pouvais l’apercevoir balayer tranquillement la terrasse depuis la tour. 

Dotée d’un caractère fort qui ne faisait que s’affirmer avec le temps la jeune fille avait décidé qu’elle apprendrait le métier de forgeron et que ses études ne seraient consacrées qu’à cette seule science. Il avait cependant fallu prendre des mesures après qu’elle ait manqué de mettre de le feu à l’établi en tentant de chauffer le métal d’une épée pour en améliorer l’ergonomie. Malheureusement l’établi n’était pas équipé pour cela. Même si j’étais particulièrement fière de son obstination à vouloir devenir un forgeron d’exception, il fallut sévir. La sanction dût être d’autant plus exemplaire puisque nous découvrîmes par la suite que l’arme passée au martelage n’était autre que la lame courbée de Rayya. Dorthe écopa d’un mois de ménage et Rayya nous nous adressa plus la parole pendant un long moment. 

Dorthe était plus réfléchie que Lucia mais bien plus obstinée. La vie l’avait marqué par deux drames auxquels j’avais tristement pu assister et je ne peux m’empêcher de me dire encore aujourd’hui que les choses auraient pu en être autrement. À l’époque la jeune fille vivait à Rivebois avec son père Alvor et sa mère Sigrid. Sa famille y tenait une forge et je passais régulièrement m’y fournir en matériel quand je vivais à Blancherive. C’est par le biais de leur neveu Hadvar, rencontré lors de mon arrivée en Bordeciel, que j’avais rencontré ses parents. J’avais fui avec lui lors de l’incident à Helgen et c’est ainsi que le soldat m’avait fait rencontrer Alvor, son oncle, qui m’avait rendu service en me fournissant du matériel alors que nous avions tout perdu sur place.

J’étais revenue à Rivebois quelques mois plus tard pour entretenir mon arme mais à mon arrivée le village subissait l’attaque d’un dragon. Malheureusement le combat fut rude et la mère de Dorthe fut happée par le souffle du dragon. Peu de temps après alors que le village subissait l’assaut d’un second dragon c’est Alvor qui perdit la vie en combattant à mes côtés cette nouvelle menace. Hadvar n’étant pas dans la région à l’époque je mis Dorthe sous la protection de Faendal un confrère bosmer qui devait prendre soin de l’enfant. Plus tard, je fus contactée par Hadvar. Sa petite cousine avait finalement été placée à l’orphelinat d’Honorem à Faillaise et il me demandait de lui rendre visite, lui même ne pouvant s’y rendre avant sa prochaine permission. Il me demandait de lui fournir un certain nombre de pièces d’or qu’il me rembourserait pour assurer plus de confort à Dorthe. Je me rendis alors à Faillaise et décida avec l’accord d’Hadvar de prendre la jeune fille sous mon aile pour lui offrir un nouveau foyer. 

Dorthe ne nous adressa pas la parole pendant des mois. C’est finalement la compagnie de Lucia qui l’a fit sortir de la solitude profonde dans laquelle elle s’était enfermée. Plus âgée que Lucia elle prit peu à peu le rôle de grande sœur au sein de cette famille improvisée. Il fallut de nombreuses discussions pour la dissuader de partir s’installer à Rivebois. Finalement, nous décidâmes avec son oncle de lui confier les clés de la forge familiale en guise de promesse qu’elle pourrait suivre son rêve et s’y installer une fois adulte. Depuis, Dorthe s’était apaisée et suivait avec rigueur les enseignements qui l’amènerait plus tard à devenir forgeron.

Alors que je descendais dans la bibliothèque le profond et long soupir de Lucia attira mon attention. 

— Qui a-t-il ? Lui demandais je. 

— Je suis encore punie pour longtemps ? Soupira Lucia.

— Jusqu’à la fin de la semaine. 

Lucia fit la moue et attrapa une nouvelle pomme de terre. 

— Marcurio s’occupait très bien de nous faire à manger, lança Lucia après quelques instants. 

— Mais Marcurio à été congédié parce que lui aussi il a fait des bêtises, lui répondis-je.

— Hum. Répondit Lucia. Et avant il avait bien un cuisinier pourquoi pas nous ? 

— Un cuisiner ? 

— Oui, j’ai trouvé des lettres écrites à un cuisinier. 

— Je serais curieuse de voir ces lettres et de savoir également quel endroit de la maison tu as fouillé pour trouver cette correspondance que je n’ai pas vue. 

Lucia fit mine de se concentrer sur sa pomme de terre. 

— Lucia ? 

— La cave, finit-elle par avouer à demi-mot. 

— La cave ? Lui demandais-je à nouveau. Et … as tu le droit de te rendre dans la cave ? 

— Non, répondit Lucia. Car il y a des ragnars puants qui y traînent et que c’est dangereux. 

— Donc ? 

— Mais j’y suis allée avec Dorthe. On a été prudentes ! 

— Ces filles… soupira Rayya d’un air déprimé qui en disait long.

Lucia interrompit finalement le silence.

— Donc je vais être punie jusqu’à quand ? Demanda Lucia. 

— Une semaine de plus je le crains. Je te laisse annoncer la bonne nouvelle à ta sœur. Et ramènes-moi au passage les lettres que tu as trouvées.

Avec la participation de

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